9003Faut-il séparer garçons
et filles à l’école ?

D’après un article publié par la revue Science, aucune étude scientifique sérieuse ne montre qu’une éducation "unisexe" améliore les résultats scolaires des enfants. En revanche, elle renforce les stéréotypes liés au sexe.

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Les garçons sont meilleurs en maths, moins sensibles au bruit, préfèrent l’action et le mouvement. Les filles préfèrent la douceur, la lecture et les poupées. En se basant sur ce genre d’affirmations, une école de la banlieue de Saint-Louis, aux Etats-Unis, a décidé de séparer filles et garçons dans des classes différentes. En 2009, la chaîne MSNBC s'est rendu dans cette école où filles et garçons étudient séparément, dans un environnement censé favoriser leur développement et améliorer leurs résultats scolaires.

D'après le New-York Times, il existait aux Etats-Unis deux écoles séparant filles et garçons au milieu des années 1990. Aujourd'hui, elles sont plus de 500. La National association for single sex public education, qui promeut ce type d'éducation, estime que "si l'on enseigne les mêmes sujets et de la même manière aux filles et aux garçons, à l'âge de 12 ou 14 ans, nous avons des filles qui pensent que "la géométrie c'est dur", et des garçons qui trouvent que "l'art et la poésie c'est pour les filles." Le manque de compréhension des différences entre les sexes a comme conséquence non intentionnelle de renforcer les stéréotypes. A l'inverse, si vous comprenez ces différences, vous pouvez les éviter."

Mais un article récent du magazine Science prend le contre-pied de l'idée selon laquelle une éducation différenciée est meilleure pour les enfants."Il n'y a pas d'études bien construites montrant qu'une éducation "unisexe" améliore les performances académiques, mais il existe des preuves que la séparation des sexes augmente les stéréotypes et légitimise le sexisme institutionnalisé."

Cette étude s'intitule "La pseudo-science de l'éducation séparée des filles et des garçons". Ses auteurs, tous scientifiques, sont membres de l'American council for coeducational schooling. Ils demandent au président Barack Obama de revenir sur une décision prise par l'administration Bush qui a facilité l'ouverture des classes "unisexes". Il a fallu pour cela contourner la règle qui empêche l'inégalité de l'éducation.

Le département de l'Education a pris connaissance de cette étude, et déclaré en étudier les conséquences. "Quand on parle de séparer les élèves, de les traiter différemment, on doit le faire en respectant la constitution, et on veut s'assurer que cela est justifié. Nous voulons nous assurer qu'il existe des garanties contre la fabrique des stéréotypes."

Parmi les stéréotypes, l'idée que les filles ne sont pas faites pour les maths. Une étude américaine montre qu'entre le primaire et le lycée, le nombre de filles qui disent aimer la science tombe de 66 à 48%. Dans le même intervalle, celles qui souhaiteraient arrêter l'étude des mathématiques passent de 9 à 50%. Ce n'est donc pas le cerveau qui est en cause, mais plutôt l'acceptation progressive de l'idée selon laquelle les filles "ne seraient pas faites pour ça". En intégrant ces stéréotypes, les parents peuvent les transmettre à leurs enfants.

Un autre aspect de l’éducation "unisexe" est l’idée selon laquelle les garçons ont plus besoin de se dépenser physiquement. Le reportage de MSNBC montre par exemple que les garçons sont encouragés à se déplacer quand les petites filles sont tranquillement assises à lire. Le professeur Charles Hillman (Université de l’Illinois) a étudié l’importance des activités physiques dans l’éducation. "Nous n’avons jamais trouvé de différences liées au sexe au cours de notre travail. Nous avons pris en compte le sexe comme variable dans notre étude, et nous n’avons jamais trouvé de quoi soutenir cette idée."

Il existe plusieurs autres recherches montrant qu'il n'y a que de très légères différences entre le cerveau des filles et celui des garçons. L'une d'elle vient du docteur Lise Eliot, neurobiologiste à la faculté de médecine de Chicago. Elle est l'auteure du livre Cerveau rose, cerveau bleu, dont vous pouvez lire des extraits ici. La conclusion de son ouvrage : Il y a "étonnamment peu de preuves solides de différences sexuées dans le cerveau des enfants".

"Les différences entre les individus d'un même sexe sont tellement importantes qu'elles l'emportent sur les différences que l'on peut éventuellement observer entre les sexes" affirme de son côté Catherine Vidal, neurobiologiste et chef de laboratoire à l'Institut Pasteur.

Pourtant l’idée persiste, selon laquelle les petits garçons se tournent naturellement vers les objets, les mathématiques et la science, alors que les filles préfèrent les relations humaines, et ne sont pas des leaders naturels.

Un psychologue britannique, Simon Baron-Cohen, se base sur une étude menée sur des enfants âgés d’un jour seulement. L’étude a montré que les nourrissons de sexe masculin portaient une attention plus prolongée aux objets mobiles alors que ceux de sexe féminin regardaient plus longtemps les visages. Le cerveau masculin, estime Mr Baron-Cohen, est profondément lié au pouvoir, à la chasse et au commerce, quand le cerveau féminin serait lui conçu pour l’amitié, la maternité et les ragots. Un article du magazine Ms. démonte les biais liés à cette étude, notamment le fait que la tête des nourrissons était tenue par leurs parents, qui ont influencé ce que regardent les enfants.

Pour les auteurs de l'étude publiée par Science, rien ne prouve sérieusement qu'il vaut mieux séparer filles et garçons. Ils estiment que "les fonds destinés à la formation des enseignants sur l'apprentissage lié au genre seraient mieux utilisés si on leur apprenait plutôt à intégrer les filles et les garçons dans l'environnement éducatif."

En attendant, à l'école de Saint-Louis, on lit des histoires de monstres aux petits garçons, des histoires de stars du cinéma aux petites filles.