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Les notes à l'école, pour quoi faire
?
Le
Nouvel Observateur de cette semaine se penche sur ce système d'évaluation dont
la remise en question dans le primaire s'impose. Des voix s'élèvent pour
demander sa
De
plus en plus de voix s'élèvent en France pour mettre en cause le système de
notation des élèves, en particulier à l'école primaire
Non, Gabriel n'aime pas l'école. Il n'a pas de bonnes
notes. "J'ai peur de la maîtresse, qu'elle me punisse, qu'elle s'énerve",
dit-il. Gabriel redouble son CE2. L'année dernière a été pénible : "Quatre
filles se moquaient de lui parce qu'il était mauvais élève", raconte sa
mère, assise sur le canapé de ce petit appartement juché dans une tour du 13e
arrondissement de Paris. Sur le buffet, des poupées martiniquaises en robe de
madras veillent sous des plastiques. " A la Toussaint, le directeur
m'avait dit que j'allais redoubler", ajoute Gabriel. Un échec annoncé huit
mois à l'avance ? Il croit que c'est de sa faute. A 10 ans, il n'est pas encore
assez grand pour se mettre en colère contre une école qui note, classe et
casse. Et qui vous lâche quand vous n'y arrivez pas.
Des enfants comme Gabriel, l'Afev en suit près de 10
000 en France cette année. Pour la troisième année consécutive, elle publie un
sondage réalisé auprès d'eux par Trajectoires-Reflex, un cabinet d'études des
politiques publiques . "A l'école, 43% des élèves ont souvent mal au
ventre avant d'aller en classe, 24% ont le sentiment que le maître les dévalorisent
et les sanctionnent, 31% pensent qu'il ne s'intéresse pas à eux, et un enfant
sur deux pense qu'il ne va pas arriver à faire ce que le maître lui demande, et
craint de montrer ses notes à ses parents", cite Eunice Mangano, une des
responsables de l'Afev. Des chiffres qui font écho aux résultats des enquêtes
de l'OCDE sur le bonheur à l'école. La France est 22e sur 25. Stress, peur de
ne pas bien répondre... Pour tous ces élèves, le stigmate de l'échec, c'est la
mauvaise note. L'Afev réclame d'autres manières de travailler : plus de
solidarité, de coopération ; moins de compétition, de jugements de valeur. Pour
forcer ce changement, il faut porter le fer au cœur du système. L'association
lance donc un appel solennel pour
supprimer les notes à l'école primaire. Parmi les premiers signataires : le
généticien Axel Kahn, l'ancien Premier ministre
Michel Rocard, l'écrivain Daniel Pennac...
" Les études de psychologie scolaire montrent
bien comment les évaluations négatives font naître un sentiment fort
d'incompétence. La personne finit par penser qu'elle est nulle", résume le
sociologue de l'éducation Pierre Merle. Les pédopsychiatres en reçoivent dans
leur cabinet, de ces enfants malades de l'école. Marcel Rufo, à Marseille :
"Près de la moitié de mes patients souffrent des conséquences des
difficultés scolaires. Les notes blessent l'enfant et ses parents" Parfois
même de façon spectaculaire. Vincent Rouard, directeur d'école à Evry, dans
l'Essonne, se souvient d'Emilie, qui avait perdu tous ses cheveux en CE2 parce
qu'elle avait peur de ne pas réussir.
Et la situation s'aggrave. "Depuis les années
1970, constate l'historien de l'éducation Antoine Prost, le rôle des notes
s'est accentué avec la course au diplôme."
Une aberration puisque toutes les études en
psychologie sociale montrent que la motivation scolaire dépend de l'estime de
soi, du sentiment de sa compétence à apprendre. " Les bonnes pratiques
allient une absence de compétition et une évaluation qui se fait sous forme de
remarques constructives, pour que l'élève sache ce qu'il doit faire pour
s'améliorer", résume Pascal Bressoux, qui dirige le laboratoire des
sciences de l'éducation à l'université de Grenoble. Lire en haut de sa copie
qu'il faut revoir l'accord du participe passé ou la définition de la médiane
est plus utile qu'une simple note en rouge.
Le ministère de l'Education essaie bien de faire
évoluer ces pratiques. En 1969, par exemple, il tente de remplacer les notes
par des lettres : A, B, C, D. Un fiasco. Les professeurs ont vite fait
d'introduire des A+, des A–... Ce qui revient au même que les notes. Mais la
loi de 2005 pour l'avenir de l'école a marqué une nouvelle étape avec le livret
de compétences. Les instituteurs sont tenus désormais, pour chaque élève,
d'évaluer des dizaines d'aptitudes fines en consignant A pour Acquis, NA pour
Non Acquis, EVA pour En Voie d'Acquisition. Attentif aux recommandations de
l'OCDE, le ministère étend cette année l'usage de ce livret aux années collège.
Pour la première fois, les élèves qui passent le brevet vont voir leurs
compétences prises en compte, en langues étrangères notamment. Au ministère, la
démarche de l'Afev ne semble pas extravagante. " Cet appel n'est pas en
contradiction avec nos préoccupations, confirme Jean-Michel Blanquer, à la tête
de la Direction générale de l'Enseignement scolaire (Dgesco). Mais nous sommes
prudents. Nous cheminons vers un autre système d'évaluation, tout en évitant de
faire tout, tout de suite, de manière excessive."
Reste que dans les classes la majorité des
instituteurs, du CP au CM2, continue de mettre des notes. Elles font tellement
partie de la culture française... " Les professeurs ont rempli les livrets
de compétences, mais ils ont continué de faire des bulletins de notes, parce
que les parents les réclamaient", raconte Laurence Squarcioni,
institutrice dans les Alpes-Maritimes. Les enfants aussi. "Quand on rend
des devoirs, ils sont tous en train de se demander : t'as eu combien ?" Et
pour les parents, elles résument la journée : "T'as eu quelles notes
aujourd'hui ?" est la question rituelle du soir. Tout le système se tient.
On peut pourtant faire autrement. A Tours, Bertrand
Gimonnet, les cheveux gris retenus en catogan, ne met plus de notes depuis vingt
ans. "Je veux que mes élèves se concentrent sur les progrès qu'ils ont à
faire." Tout est un peu différent dans sa classe de CM2 : la disposition
de tables en U, le bureau du professeur dans le fond, et Guislaine, au tableau,
qui présente un livre qu'elle a lu. Les mains se lèvent. Joachim : "Tu as
bien lu, mais je n'ai pas compris quand se passe l'histoire." Louise :
"Tu as bien articulé." On s'évalue en s'encourageant. Les collègues
de Bertrand Gimonnet sont réservés. « Moi, je continue à mettre des notes. Il
faut bien préparer les élèves à ce qui va se passer en sixième », explique
Catherine, qui a comme lui une classe de CM2. Bertrand Gimonnet est très bien
noté par sa hiérarchie et il reçoit régulièrement les futurs professeurs des
écoles dans sa classe. Trois fois dans l'année, Bertrand Gimonnet fait une
entorse à son évangile : ses élèves, comme tous ceux qui sont en CM2 dans
l'académie, passent des évaluations. L'instituteur ne rend pas les résultats en
classe. "J'en parle seulement avec les parents." Ça semble tellement
simple.
Caroline Brizard