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À quoi sert Facebook ? Entretien avec Judith Donath, fondatrice du Sociable Media Group et auteur de nombreux articles d'analyse sur les médias sociaux et l'impact social d'Internet dont elle est l'une des spécialistes.

 

Beaucoup de gens en évoquant Facebook dénoncent son « mur de futilité ». Ils ne comprennent pas de quoi ce mur est le signe. Pourquoi Facebook est-il si trivial ? Que signifie la futilité des échanges qu'il incarne ?

 

Judith Donath : Ce à quoi servent des sites sociaux comme Facebook n'est pas d'échanger des informations importantes, mais ils fournissent le moyen de garder le contact avec quelqu'un, montrer que vous portez de l'attention à quelqu'un. Certaines personnes s'en servent pour annoncer des choses importantes, et attendre des réponses de leurs amis, mais la plupart s'en servent juste pour rester en contact. Quand vous écoutez de près ce que les gens échangent quand ils parlent ensemble, spécialement avec leurs amis, la plupart du temps, cela n'a pas grand sens. La plupart des conversations se construisent autour de « Salut, comment ça va ? », « Qu'est-ce que tu fais ? ». Sur le mur de Facebook, on retrouve le même type d'échanges que ceux qu'on a dans la vie réelle, et cela ressemble plus à un toilettage social bien souvent qu'à un moyen de transmettre des informations importantes.

Le toilettage social se réfère à Robin Dunbar, l'anthropologue, qui, dans son ouvrage Grooming, Gossip and the Evolution of Language (Toilettage, bavardage et l'évolution du langage), a dressé le parallèle entre nos interactions quotidiennes et le rôle social du toilettage chez les grands singes, à savoir maintenir les liens sociaux.

Ce que l'on fait sur ces sites consiste plutôt à passer un peu de temps, à montrer qu'on fait attention à l'autre, que l'on pense à lui... En offrant un minimum de temps et d'énergie, on garde le contact avec nos relations, on leur confirme les liens que nous avons avec eux.

 

Pourquoi les gens bavardent-ils en ligne et pourquoi le montrent-ils si facilement ?

Judith Donath : Bien qu'il y ait beaucoup de monde sur Facebook, il me semble que les gens sont de plus en plus nombreux à en comprendre les paramètres de confidentialité. Beaucoup de gens ne se montrent pas à tout le monde, contrairement à ce que l'on croit souvent, mais ne communiquent qu'avec un ensemble restreint de personnes, un cercle de gens proches. Ils ne parlent pas à tous les utilisateurs de Facebook, mais s'adressent seulement à des gens qu'ils connaissent. Reste que les paramètres de confidentialités les trompent parfois, comme l'ont montré bien des actualités autour de Facebook. Ils peuvent avoir l'impression de discuter avec quelques amis, avec une petite audience, alors qu'ils échangent avec d'autres gens.

 

Facebook nous rend-il idiot ? Pensez-vous qu'il s'agit juste d'une « distraction » comme le présume Nicholas Carr ?

Judith Donath : Il est possible que ce soit une distraction. Comme bien d'autres choses, il est difficile de trancher de manière claire et précise. Le téléphone est-il une distraction ? Ou permet-il d'avoir des conversations intéressantes ? Certaines sont ennuyeuses, d'autres importantes. On ne peut pas regarder Facebook dans son ensemble et dire : « C'est juste une façon de passer le temps ! » Pour certains, c'est une façon très adaptée pour entretenir des amitiés, pour renouer avec de vieux amis perdus de vue... Pour d'autres, c'est un moyen de passer le temps, en jouant toute la journée. Il y a donc beaucoup de façons différentes d'utiliser Facebook et beaucoup de gens doivent y trouver un complément précieux pour rester en contact avec les autres (sinon, ils ne l'utiliseraient peut-être pas aussi massivement). Peut-être permet-il de renforcer la taille des groupes sociaux que nous fréquentons ?

Je ne pense pas que Facebook soit intrinsèquement une perte de temps, même s'il peut l'être. Facebook permet d'entretenir des relations un peu différentes du courrier électronique par exemple. Il vous permet de diffuser quelque chose à un public restreint, mais fonctionne aussi très bien avec un réseau resserré de connaissances. Cela montre que les choses que vous dites n'existent que dans le contexte d'autres communications et qu'on ne peut pas les regarder de manière isolée, comme si elles étaient des publications uniques, singulières. Nos discussions ne se comprennent que dans le réseau de relations et de signes dans lesquelles elles s'inscrivent.

 

Dans Signaux sur le supernet social, vous expliquez que modifier son statut, commenter, jouer aux jeux et aux quizz sont un « activisme nécessaire ». Qu'entendez-vous par là ?

Judith Donath : Si vous voulez participer à ce que les gens font sur Facebook, il faut participer. Il est nécessaire d'agir pour faire partie de cette communauté, avec les règles de fonctionnement qui sont les siennes.

Vous connaissez peut-être cette étude qui montre que 72 % des Britanniques adultes passent leur temps à mettre à jour et consulter le statut de leurs amis sur Facebook avant de s'endormir. Les gens sont-ils fous ? Pourquoi Facebook est-il devenu si important pour tant de gens ?

Judith Donath : Eh bien, je ne connais pas cette étude et je ne sais pas si ces statistiques sont exactes, mais je dirais que, si ces chiffres sont exacts, ils traduisent combien les gens sont en conversation avec leurs amis. S'ils posent une question, c'est normal qu'ils soient en attente d'une réponse, comme ils le faisaient avec le téléphone, les gens se socialisent de nouvelles façons. Il n'est pas surprenant que les gens soient impatients de ce que leurs amis pensent, font... Sur Facebook, nos échanges sont asynchrones : vous n'avez pas à vous inquiéter de savoir si vous allez réveiller quelqu'un. Avec le téléphone, on ne se sent pas forcément à l'aise pour passer un appel tard dans la nuit, mais avec les médias asynchrones, vous pouvez vérifier à tout moment sans déranger votre entourage. Comme on vérifie sans arrêt son courrier électronique. Si cette étude est juste, c'est un signe que nos relations sont très prenantes... pas nécessairement que Facebook soit très prenant en soi.