Voici quelques questions pour vous aider à comprendre les pages
55 à 66 : här kommer några hjälpfrågor för att förstå sidorna 55-66:
55. est-ce que Thomas souffre de la disparaition de son frère ?
Qu’est-ce qu’il peint ? Qu’est-ce qu’il fait avec le dessin quand il
est fini ?
56. Thomas écrit des cartes postales ?
Expliquez !
Que veut dire gribouillages ?
57. Qui est Pierre Desproges ? Comment
réagit-il à sa visite dans l’établissement de Thomas ?
58. Expliquez la comparaison avec les
oiseaux !
59. Est-ce que l’écrivain a beaucoup parlé de ses
garçons ? Pourquoi ? Quels sont les sentiments exprimés dans ce
chapitre ?
60. L’écrivain, qu’est-ce qu’il aimait faire quand
il était jeune ? Les filles-le poisson ? Décrivez l’écrivain ! À
qui voulait-il ressembler ?
61. « L’écolier au regard vide » quel
type d’élève décrit-il dans ce chapitre ?
Est-ce que vous avez connu cet élève pendant votre cursus scolaire à
vous ?
62.Que pense l’écrivain des mots
« handicapé » et « anormal » ? Qu’est-ce que cela veut
dire « normal » selon l’écrivain ? Qu’en pensez-vous ?
63.Si ces enfants étaient
comme les autres qu’aurait-il fait ? Donnez des exemples ! Comment se
termine ce chapitre ?
64. L’histoire du chat. Qu’est-ce qu’il a fait à
son chat ? Pourquoi ? Comment est la comparaison avec ses
enfants ?
65.Qu’est-ce qu’il vient d’acheter ? Où
vont-il en vacances ? Est-ce que Thomas est heureux de ses vacances ?
Qu’est-ce qu’il n’aime pas ? De quoi a-t-il peur ?
66. Quel type de carte, Thomas et Mathieu,
n’auront-ils jamais ? Expliquez !
55.
On a craint un moment que Thomas souffre de la disparition de son frère. Au
début, il l’a cherché, il ouvrait les armoires, les tiroirs, mais peu de temps.
Ses activités diverses, les dessins, les soins à Snoopy ont repris le dessus.
Thomas adore dessiner et peindre. Il est plutôt tendance abstrait. Il n’a pas
eu son époque figurative, il est passé directement à l’abstrait. Il produit
beaucoup, il ne retouche jamais après. Il fait des séries qu’il intitule
toujours de la même façon. Il y a les dessins « Pour papa », les dessins « Pour
maman », et les dessins « Pour Marie ma sœur ».
Son style n’évolue pas beaucoup, il reste proche de
Pollock. Sa palette est vive. Les formats restent identiques. Emporté par son
élan, il déborde souvent de son papier, il continue son œuvre sur la table, à
même le bois.
Quand il a terminé un dessin, il le donne. Quand on
lui dit que c’est beau, il a l’air content.
56.
Je reçois parfois des cartes postales qui viennent d’un camp de vacances où
sont partis les enfants. C’est souvent un coucher de soleil orange sur la mer
ou une montagne scintillante. Derrière, il est écrit : « Mon cher papa, je suis
très content, je m’amuse bien. Je pense à toi. » C’est signé Thomas.
L’écriture est belle, régulière, il n’y a pas de fautes d’orthographe, la
monitrice s’est appliquée. Elle voulait me faire plaisir. Je comprends sa bonne
intention.
Ça ne me fait pas plaisir.
Je préfère les gribouillages informes et illisibles que
fait Thomas. Peut-être qu’avec ses dessins abstraits, il me dit plus de choses.
57.
Un jour, Pierre Desproges est venu avec moi
chercher Thomas dans son établissement. Il n’avait pas beaucoup envie, j’avais
insisté.
Comme tous les nouveaux venus, il a été assailli par des enfants titubant
et bavant, pas toujours très ragoûtants, qui l’ont embrassé. Lui qui supportait
difficilement ses semblables et était souvent réservé devant les manifestations
exubérantes de ses groupies, il s’est laissé faire de bonne grâce.
Cette visite l’a beaucoup remué. Il a eu envie d’y
retourner. Il était fasciné par ce monde étrange où des enfants de vingt ans
couvrent de baisers leur ours en peluche, viennent vous prendre par la main ou
menacent de vous couper en deux avec des ciseaux.
Lui qui adorait l’absurde,
il avait trouvé des maîtres.
58.
Quand je pense à Mathieu et Thomas, je vois deux petits oiseaux ébouriffés.
Pas des aigles, ni des paons, des oiseaux modestes, des moineaux.
De leurs manteaux bleu marine courts sortaient des petites cannes de serin.
Je me souviens aussi, quand on les lavait, de leur peau transparente et mauve,
celle des oisillons avant que les plumes poussent, de leur bréchet proéminent,
de leur torse plein de côtes. Leur cervelle aussi était d’oiseau.
Il ne leur manquait que les
ailes. Dommage.
Ils
auraient pu quitter un monde qui n’était pas fait pour eux. Ils se seraient
tirés plus vite, à tire-d’aile.
59.
Jusqu’à ce jour, je n’ai
jamais parlé de mes deux garçons. Pourquoi ? J’avais honte ? Peur qu’on me
plaigne ?
Tout ça un peu mélangé. Je
crois surtout que c’était pour échapper à la question terrible : « Qu’est-ce
qu’ils font ? »
J’aurais pu inventer…
« Thomas est aux États-Unis,
au Massachusetts Institute of Technology. Il prépare un diplôme sur les
accélérateurs de particules. Il est content, ça marche bien, il a rencontré une
jeune Américaine, elle s’appelle Marilyn, elle est belle comme un cœur, il va
certainement s’installer là-bas.
- Ce n’est pas trop dur pour vous, l’éloignement ?
- L’Amérique, ce n’est pas le bout du monde. Et puis, l’important, c’est
qu’il soit heureux. On a souvent des nouvelles, il téléphone toutes les
semaines à sa mère. En revanche, Mathieu, qui fait un stage chez un architecte
à Sydney, ne donne plus de nouvelles… »
J’aurais pu dire la vérité, aussi.
« Vous voulez vraiment savoir
ce qu’ils font ? Mathieu ne fait plus rien, il n’est plus là. Vous ne le saviez
pas, ne vous excusez pas, la disparition d’un enfant handicapé, ça passe
souvent inaperçu. On parle de
soulagement…
« Thomas est toujours là, il
traîne dans les couloirs de son centre médico-pédagogique en serrant une
vieille poupée mâchouillée, il parle à sa main en poussant des cris étranges.
- Pourtant, il est grand maintenant, ça lui fait quel âge ?
- Non, il n’est pas grand ; vieux, peut-être, mais pas
grand. Il ne sera jamais grand. On ne devient jamais grand quand on a de la
paille dans la tête. »
60.
Quand j’étais petit, je faisais des excentricités pour me faire remarquer.
À six ans, les jours de marché, je volais à l’étal du poissonnier un hareng, et
mon grand jeu était de poursuivre les filles pour frotter leurs jambes nues
avec mon poisson.
Au collège, pour faire romantique et ressembler à Byron, je mettais des
lavallières au lieu de cravates, et pour faire iconoclaste j’avais mis la
statue de la Sainte Vierge dans les chiottes.
Chaque fois que j’entrais dans un magasin pour essayer un vêtement, il
suffisait qu’on me dise : « Ça plaît beaucoup, j’en ai vendu une dizaine hier »
pour que je n’achète pas. Je ne voulais pas ressembler aux autres.
Plus tard, quand j’ai commencé à travailler à la
télévision, qu’on m’a confié des petits tournages, j’essayais toujours, avec
plus ou moins de bonheur, de trouver un endroit inhabituel pour placer la
caméra.
Je me souviens d’une anecdote du peintre Édouard Pignon sur lequel j’avais
fait un documentaire pour la télévision. Alors qu’il peignait des troncs
d’olivier, un enfant était passé ; après avoir regardé son tableau, il lui
avait déclaré : « Ça ne ressemble à rien, ce que tu fais. » Pignon, flatté, lui
avait dit : « Tu viens de me faire le plus beau compliment, il n’y a rien de
plus difficile que de faire quelque chose qui ne ressemble à rien. »
Mes enfants ne ressemblent à personne. Moi qui voulais
toujours ne pas faire comme les autres, je devrais être content.
61.
À chaque époque, dans chaque ville, dans chaque
école, il y a toujours eu et il y aura toujours, au fond de la classe, souvent
près du radiateur, un élève au regard vide. Chaque fois qu’il se lève, qu’il
ouvre la bouche pour répondre à une question, on sait qu’on va rire. Il répond
toujours n’importe quoi, parce qu’il n’a pas compris, qu’il ne comprendra
jamais. Le prof, quelquefois sadique, insiste, pour amuser la galerie, mettre
de l’ambiance et remonter son audimat.
L’enfant au regard vide, debout au milieu des
élèves déchaînés, n’a pas envie de faire rire, il ne le fait pas exprès, au
contraire. Il aimerait bien ne pas faire rire, il aimerait bien comprendre, il
s’applique, mais malgré ses efforts il dit des bêtises, parce qu’il est non
comprenant.
Quand j’étais gosse, j’étais le premier à en rire,
maintenant, j’ai une grande compassion pour cet écolier au regard vide. Je
pense à mes enfants.
Heureusement, on ne pourra même pas se moquer d’eux à
l’école. Ils n’iront jamais à l’école.
62.
Je n’aime pas le mot « handicapé ». C’est un mot anglais, ça voudrait dire
« la main dans le chapeau ».
Je n’aime pas non plus le mot « anormal », surtout quand il est collé à «
enfant ».
Qu’est-ce que ça veut dire, normal ? Comme il faut être, comme on devrait
être, c’est-à-dire dans la moyenne, moyen. Je n’aime pas trop ce qui est dans
la moyenne, je préfère ceux qui ne sont pas dans la moyenne, ceux au-dessus, et
pourquoi pas ceux au-dessous, en tout cas pas comme tout le monde. Je préfère
l’expression « pas comme les autres ». Parce que je n’aime pas toujours les
autres.
Ne pas être comme les autres, ça ne veut pas dire
forcément être moins bien que les autres, ça veut dire être différent des
autres.
Qu’est-ce que ça veut dire, un oiseau pas comme les autres ? Aussi bien un oiseau
qui a le vertige qu’un oiseau capable de siffler sans partition toutes les
sonates pour flûte de Mozart.
Une vache pas comme les
autres, ça peut être une vache qui sait téléphoner. Quand je parle de mes
enfants, je dis qu’ils ne sont « pas comme les autres ».
Ça laisse planer un doute.
Einstein, Mozart,
Michel-Ange n’étaient pas comme les autres.
63.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais conduits au musée. On aurait
regardé ensemble les tableaux de Rembrandt, Monet, Turner et encore Rembrandt…
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais offert des disques de musique
classique, on aurait écouté ensemble d’abord Mozart, puis Beethoven puis Bach
et
encore Mozart.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais offert
plein de livres de Prévert, Marcel Aymé, Queneau, Ionesco et encore Prévert.
Si vous étiez comme les autres je vous aurais
emmenés au cinéma, on aurait vu ensemble les vieux films de Chaplin,
Eisenstein, Hitchcock, Buñuel et encore Chaplin.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais
emmenés dans les grands restaurants, je vous aurais fait boire du
chambolle-musigny et encore du chambolle-musigny.
Si vous étiez comme les autres, on aurait fait
ensemble des matchs de tennis, de basket et de volley-ball.
Si vous étiez comme les autres, on serait montés ensemble dans les clochers
des cathédrales gothiques, pour avoir un point de vue d’oiseau.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais
offert des fringues à la mode, pour que vous soyez les plus beaux.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais conduits au bal avec vos
fiancées dans ma vieille voiture décapotable.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais
donné en douce des petits biffetons pour faire des cadeaux à vos fiancées.
Si vous étiez comme les autres, on aurait fait une
grande fête pour votre mariage.
Si vous étiez comme les
autres, j’aurais eu des petits-enfants.
Si vous étiez comme les
autres, j’aurais peut-être eu moins peur de l’avenir. Mais si vous aviez été
comme les autres, vous auriez été comme tout le
monde.
Peut- être que vous
n’auriez rien foutu en classe. Vous seriez devenus délinquants.
Vous auriez bricolé le pot
d’échappement de votre scooter pour faire plus de
bruit.
Vous auriez été chômeurs.
Vous auriez aimé
Jean-Michel Jarre. Vous vous seriez mariés avec une conne. Vous auriez divorcé.
Et
peut-être que vous auriez eu des enfants handicapés. On l’a échappé belle.
64.
J’ai fait castrer mon chat, sans le prévenir, sans lui demander la
permission. Sans lui expliquer les avantages et les inconvénients. Je lui ai
simplement dit qu’on allait lui retirer les amygdales. J’ai l’impression que
depuis, il me fait la gueule. Je n’ose plus le regarder dans les yeux. J’ai des
remords.
Je pense à une époque où on voulait castrer les enfants handicapés. Que la
bonne société se rassure, mes enfants ne vont pas se reproduire. Je n’aurai pas
de petits- enfants, je n’irai pas me promener avec une petite main qui gigotera
dans ma vieille main, personne ne me demandera où le soleil s’en va quand il se
couche, personne ne m’appellera grand -père, sauf les jeunes cons en voiture
derrière moi parce que je ne roule pas assez vite. La lignée va s’arrêter, on
va en rester là. Et c’est mieux comme ça.
Les parents ne doivent faire que des enfants
normaux, ils auront tous le premier prix ex æquo au concours du plus beau bébé
et, plus tard, le premier prix au concours général. L’enfant anormal doit être
interdit.
Pour mes petits oiseaux, le problème ne se pose pas, on
n’a pas à s’inquiéter. Ils ne feront pas beaucoup de dégâts avec leur petit
zizi minuscule comme un bigorneau.
65.
Je viens d’acheter d’occasion une Camaro, une
voiture américaine. Elle est vert foncé, l’intérieur est en simili blanc, un peu
m’as-tu-vu.
Nous partons en vacances au
Portugal.
Nous emmenons Thomas avec nous, il va voir la mer.
Nous sommes passés le prendre à La Source, son institut médico-pédagogique près
de Tours.
La Camaro glisse sur la
route, silencieuse.
Après une nuit passée en Espagne, nous arrivons à
Sagres, le but du voyage. L’hôtel est blanc, le ciel bleu et la lumière sur la
mer intense, presque l’Afrique.
Quel bonheur d’être enfin arrivés. Nous faisons descendre Thomas, il est
ravi, il regarde l’hôtel, il s’écrie : « La Source, La Source ! » en tapant
dans ses mains. Il se croit retourné à son IMP. Peut-être qu’il est ébloui par
le soleil, ou c’est un gag, il dit ça pour nous faire rire.
L’hôtel est un peu chichiteux, le personnel est en
uniforme bordeaux avec des boutons dorés. Les serveurs portent tous un badge
avec leur nom, le nôtre s’appelle Victor Hugo. Thomas veut embrasser tout le
monde.
Thomas est servi comme un petit prince. Ce qu’il n’aime pas, c’est que le
maître d’hôtel, avant de servir, retire les assiettes de présentation qui sont
sur la table. Il se met en colère, s’accroche à son assiette, il ne veut pas
qu’on la lui prenne, il crie : « Non, monsieur ! Pas l’assiette ! Pas
l’assiette ! » Il doit croire que si on lui prend son assiette, il n’aura rien
à manger.
Thomas a peur de l’océan, du bruit de ses grosses vagues. J’essaie de
l’habituer. Je marche dans la mer en le portant dans mes bras, il s’accroche à
moi, terrorisé. Je n’oublierai jamais son expression terrifiée. Un jour, il a
trouvé une astuce pour arrêter son supplice et qu’on sorte de l’eau, il a pris
un air tragique et, très fort, pour qu’on l’entende malgré le fracas des
vagues, il a crié : « Caca ! » Croyant à une urgence, je l’ai sorti de l’eau.
J’ai vite compris que ce n’était pas vrai. J’étais
tout ému. Thomas n’est pas idiot, il y a quand même quelques étincelles dans
son petit cerveau d’oiseau.
Il est capable de mentir.
66.
Mathieu et Thomas n’auront jamais de Carte bleue ni
de carte de parking dans leur portefeuille. Ils n’auront jamais de
portefeuille, leur seule carte, ce sera une carte d’invalidité.
Elle est de couleur orange, pour faire gai. Elle porte la mention « Station
debout pénible », en caractères verts.
Elle a été délivrée par le
commissaire de la République de Paris. Leur taux d’incapacité, en pourcentage,
est de 80 %.
Le commissaire de la
République, qui ne se fait aucune illusion sur leur évolution, la leur a
délivrée « à titre définitif ».
Sur la carte, il y a leur
photo. Leur étrange tête, leur regard vague… À quoi pensent-ils ?
Elle me sert encore aujourd’hui. Je la mets parfois sur
mon pare-brise quand je suis mal garé. Grâce à eux, j’évite une contravention.