devoir2 JLFournier 1-10;
prénom.......................................................résultat.....................sur
20
1) Vad betyder titeln? Förklara titeln!
2) Vem är Mathieu och Thomas?
3) Varför skall de åka till Alaska?
4) Vad gör Thomas i bilen?
5) Vad kommer att hända med Mathieu längre fram i tonåren?
6) Hur berättar författaren? Vem är han?
7) Fick barnen Tintinalbum i julklapp? Förklara!
8) Vilket är bokens stora tema?
9) Nämn några positiva saker som författaren tar upp.
10) Vad tycker du perosnligen så här långt om boken?
devoir Où on va
papa 11-20; prénom........................................résultat...................sur
20
page 11; comment va Mathieu? Vilket yrke tycker pappan att han skulle kunna satsa på? varför?
page 12; vad har Mathieu för intressen? förklara följande mening: il n’a pas eu besoin de la télévision pour être handicapé mental
page 13; pappan är lite gladare, men samtidigt orolig; vad händer i familjen? förklara
page 14; décrivez Thomas!
page 15: vad får man veta av läkarna angående Thomas? hur beskriver pappan detta?
page 16;
expliquez: « les enfants handicapés sont une punition du Ciel”
varför skall de åka till Lourdes ?
ett mirakel skulle kanske kunna ske, vilket enligt författaren?
författaren pratar mycket om nyfödda barn, vad säger han om nyfödda barn i allmänhet?
”att få ett handikappat barn är en gåva från himlen” förklara detta påstående
page 19; vad får Thomas i present? vem får han den av? vad händer med presenter när han blir äldre?
page 20; hur skall en pappa till handikappade barn vara enligt författaren? förklara!
övrigt om dessa sidor eller boken?
Où on va papa
21 – 30; prénom..........................................................résultat........................sur
20
page 21 : pappan har varit med i en tevesändning. Vad handlar den om? När pappan senare tittar på programmet vad upptäcker han då att teveledningen gjort?
22 Thomas försöker klä på sig själv. Hur går det?
23. Det är snart jul och pappan skall köpa julklappar. Vad får han för förslag av försäljaren? Vad börjar han tänka på när han får förslaget om den lilla kemisten? Vad köper han till slut?
24. Hur var julen för barnen ? Trodde de på jultomten? Förklara deras jul!
26. Vem är
Josée ? Hur är hon med barnen ?
Förklara : « Mais vous
avez de la paille dans la tête ! »
27. Hur ser familjens fotoalbum ut ? Varför? Hur såg Mathieu ut enligt pappan?
28. Une ventouse=en sugpropp ; försök förklara vad den här episoden handlar om på franska :
Un jour que je
voyais Josée en train de déboucher un évier avec une ventouse, je lui ai dit
que j’allais en acheter une seconde. Elle m’a demandé :
Pourquoi deux,
monsieur ? Une, ça suffit. » Je lui ai répondu :
Vous oubliez
que j’ai deux enfants, Josée. »
Elle n’a pas
compris. Je lui ai alors expliqué que quand on promenait Mathieu et Thomas et
qu’il fallait leur faire traverser un ruisseau, il était pratique de se servir
de la ventouse. On la fixait sur la tête des enfants. Il suffisait alors de
saisir le manche pour les soulever et leur permettre de passer au-dessus du
ruisseau, sans se mouiller les pieds. C’était plus pratique que de les prendre
dans les bras.
Elle était
horrifiée.
À partir de ce
jour, la ventouse a disparu. Elle a dû la cacher…
29. på sidan 29 pratar pappan om drömmar ; här kommer en ny förklaring på varför barnen är som de är dagtid ; vad säger han ?
30. En sak har pappan lyckats med ; vad ? förklara!
où on va papa 31-42
1 |
p31: ça
va mieux avec des lunettes? Mathieu sait lire maintenant ? |
2 |
p32
qu’est-ce qu’il pourrait faire avec Mathieu pour gagner un peu
d’argent ? |
3 |
p33 le
père a acheté quelque chose ; quoi ? qu’est-ce que ça change ? |
4 |
p34 il imagine
ses enfants avec une barbe ; il a pensé leur acheter un rasoir,
pourquoi ? qu’est-ce qu’il raconte ? |
5 |
p35 les
enfants reviennent avec des blessures ; que s’imagine le père ? |
6 |
p36
Thomas ne sera plus jaloux de Mathieu, pourquoi ? |
7 |
p36
comment est-ce qu’il déshabille ses enfants le soir ? |
8 |
p36 à
quoi ressemble les enfants avant de les déshabiller ? |
9 |
p37 de
quel genre de concours parle-t-il à cette page ? qu’est-ce qu’il en
pense ? |
10 |
p38 le
père fait une blague à Josée ; qu’est-ce qu’il dit ? |
11 |
comment
réagit Josée ? que pense-t-elle du père de Mathieu et de Thomas ? |
12 |
p39 il
parle de la musique ; qu’est-ce qu’il dit ? |
13 |
p40 il
traverse la forêt avec sa nouvelle voiture ; que pense-t-il du paysage ?
qu’en pensent les enfants ? |
14 |
p40
qu’est-ce que c’est « les fites » ? |
15 |
p41 il a
peur d’avoir un accident ? |
16 |
qui est
Marie ? |
17 |
un
pied-bot qu’est-ce que c’est ? pourquoi parle-t-on d’un pied-bot ? |
où on va 43-54 ;
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43. Hur fungerar äktenskapet för berättaren ? Finns det tjejer han är intresserad av ? Förklara!
44.Fåglar ? Vad uttrycker författaren för känslor om sina barn här ? Vad tycker du? Ge några exempel från texten. Vilket verb kommer de aldrig att kunna böja i presens ?
45.Ger han gärna pengar till handikappade barn när man frågar honom på gatan ? Förklara!
46. Qu’est-ce que c’est Antivol ? Berätta vad du har förstått av detta kapitel.
47.Pappan skämtar med Josée. Vad handlar det om ? Vad tycker Josée om det ?
48. Vad hände rofta när de går i butiker tillsammans ? Hur reagerar folk? Hur är det när de går på zoo?
49. Qu’est-ce que c’est une marionnette ?
Le père est
content parce que Mathieu lit un livre ! Expliquez !
50.Qu’avez-vous compris de ce chapitre ? Qu’est-ce que c’est le
Hara-Kiri ? Expliquez : Cette année, le major de Polytechnique est un
garçon1
51. Comment va Mathieu ? Quel est le problème ? Et le
corset ? Quel âge a-t-il maintenant ?
Pourquoi le
père s’imagine-t-il Mathieu avec des miroirs aux chaussures ?
52. Sidan 52 är lite speciell. Förklara vad som händer.
54.Ils vont se rencontrer tous les trois un jour ! Où ? Qui
va-t-on aussi rencontrer ? Pourquoi n’aurait-il pas peur de rouler
vite ? Quel est le sentiment qu’exprime l’écrivain dans ce chapitre ?
Qu’espère le père ?
Où
va-t-on papa ? 55-66 ;
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55. Est-ce que Thomas souffre de la disparition de son frère ?
Qu’est-ce qu’il aime bien faire ? Expliquez !
56.Le père reçoit des cartes postales. De
qui ? est-il content ? Pourquoi ?
58.À quoi compare-t-il ses enfants dans ce
chapitre ? Expliquez !
59.Pourquoi n’a-t-il jamais parlé de ses
enfants ? Quelle question lui faisait peur ?
60.Comment était le narrateur quand il
était petit ? Qu’est-ce qu’il voulait faire ? Comment est-ce qu’il se
comportait ? À qui ressemblent ses enfants ?
61. Décrivez le genre d’élève dont il
parle à cette page
62. Expliquez la phrase :« la main
dans le chapeau ». Que veut dire le mot « normal » selon
l’écrivain ? Comment qualifie-t-il ses enfants ?
63.Si ces enfants avaient été normaux
qu’aurait-il fait ? Donnez plusieurs exemples ! Vad slutar
detta kapitel med ? Hur är
tonen ? Förklara « on l’aurait échappée belle !
64.Qu’est-ce qu’il a fait au chat ?
Qu’est-ce qu’il voulait faire aux enfants ? Pourquoi ?
65.Qu’est-ce qu’il vient d’acheter ?
Où partent-ils ? Que pense Thomas de l’hôtel. Pourquoi Thomas est-il en
colère envers le serveur ? De quoi a-t-il peur ? Thomas n’a pas
peur ! Pourquoi cette phrase ?
66.Quelle est la seule carte que possèdent
Thomas et Mathieu ? Le père s’en sert encore aujourd’hui. Pourquoi ?
Fournier 67-78
67. qu’est-ce
que c’est un curriculum vitae ? Ses enfants auront-ils un cv ?
Qu’est-ce qu’on pourrait y mettre ? Est-ce que la police pourrait attraper
les enfants ? Expliquez !
68. Comment se passe la Fête des Pères dans cette famille ?
69. Expliquez cette lettre à la page 69
Cher papa,
70.Quel est le « problème » de l’enfant dont on parle ici ?
71. Expliquez ce dont on parle ici : Il ne faut pas parler de
génétique, c’est un mot qui porte malheur. Peut-être que « génétique », c’est
le terme savant pour dire pas de chance ?
72.Pourquoi
est-ce que les camarades de Marie ne la croient pas ? Qu’est-ce qu’ils
disent ?
73. Quel est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un enfant ? Quel
métier, le narrateur, aurait-il aimé faire ?
74.Thomas et la télé. Il aime la télé ? Quel âge a Thomas
maintenant ?
75.Le pére et Thomas se ressemblent ?
Expliquez la
fin :
J’espère quand
même que, mises bout à bout, toutes leurs petites joies, Snoopy, un bain tiède,
la caresse d’un chat, un rayon de soleil, un ballon, une promenade à Carrefour,
les sourires des autres, les petites voitures, les frites… auront rendu le
séjour supportable.
76.Expliquez ce chapitre à l’aide de cette image :
77.Quel âge a Thomas ? Que veut dire « tuteur » ?
Expliquez son rôle ! Thomas, que pense-t-il de l’argent ? À la fin du
chapitre, que dit Thomas à son père ?
78. Commentez : Un enfant handicapé a le droit de vote.
Où on va
papa ; la fin du livre ;
prénom..........................................résultat..................sur
20
76. Berätta om den vita duvan.
78. Le droit
de vote. Thomas a le droit de voter. Qui va-t-il choisir ?
80. Dans ce
chapitre Thomas parle avec Martine. Qui est Martine ? Expliquez ce qu’elle
fait et ce qu’elle symbolise.
81. Le coup de téléphone. Thomas et son père se parlent au téléphone.
Comment est la conversation ? De quoi parlent-ils ?
82. Thomas ne va pas très bien. Qu’est-ce qui se passe ? Que font-ils
à l’institut pour le calmer ?
83. Le père a retrouvé des faire-part de naissance. Expliquez ce qu’il dit
dans ce chapitre.
84.Pourquoi le père n’aime-t-il pas les faire-part de naissance des
autres ?
85. Expliquez ce chapitre à l’aide des mots suivants : berätta om detta kapitel med hjälp av följande ord :
fauteuil roulant |
voûté |
conversation |
tire la
langue aux éducateurs |
mouvements de danse |
excentricités |
bêtises |
indatables |
jugé |
86. Expliquez comment ça se passe à l’IMP
87. Il y a une manifestation sportive à l’IMP. Que fait Thomas ?
88. Que pensait le père des enfants quand il était jeune ?
Expliquez
cette phrase : Je n’ai pas eu de chance. J’ai joué à la loterie génétique,
j’ai perdu.
89. Comment se termine le livre ? Que dit-il à cette dernière
page ?
Quel est votre
avis personnel du livre? Expliquez et justifiez vos réponses !
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50.
J’ai toujours adoré Hara-Kiri. Un moment, je voulais leur proposer une
couverture. Je voulais emprunter à mon frère, élève à
Polytechnique, son grand
uniforme avec le bicorne pour le mettre à Mathieu, et le
prendre en photo. J’avais
pensé à la légende : « Cette année, le major de
Polytechnique est un garçon1. »
Pardon, Mathieu. Ce n’est pas de ma faute si j’avais ces
idées tordues. Je
n’avais pas envie de me moquer de toi, c’est peut-être de
moi que je voulais me
moquer. Prouver que j’étais capable de rire de mes
misères.
1 L’année précédente, pour la première fois le major avait été une fille,
Anne Chopinet.
51.
Mathieu est de plus en plus voûté. Les kinés, le corset
en métal, rien n’y fait. À
quinze ans, il a la silhouette d’un vieux paysan qui a
passé sa vie à bêcher la terre.
Quand on le promène, il ne voit que ses pieds, il ne peut
même plus voir le ciel.
Un moment, j’ai imaginé fixer sur le bout de ses
chaussures des petits miroirs,
comme des rétroviseurs qui lui refléteraient le ciel…
Sa scoliose a augmenté, elle va bientôt provoquer des
ennuis respiratoires.
Une opération sur la colonne vertébrale doit être tentée.
Elle est tentée, il est totalement redressé.
Trois jours plus tard, il meurt droit.
Finalement, l’opération qui devait lui permettre de voir
le ciel a réussi.
52.
Mon petit garçon est mignon, il rit
toujours, il a des petits yeux noirs et brillants,
comme les rats.
J’ai souvent peur de le perdre. Il
mesure deux centimètres de haut. Pourtant, il
a dix ans.
Quand il est né, on a été surpris,
un peu inquiets. Le docteur nous a tout de
suite rassurés, il a dit : « Il est
tout à fait normal, patientez, c’est un petit retard, il va
grandir. » On patiente, on s’impatiente,
on ne le voit pas grandir.
Dix ans plus tard, l’entaille qu’on
a faite dans la plinthe pour marquer sa taille
quand il avait un an est toujours
valable.
Aucune école n’a accepté de le
prendre sous prétexte qu’il n’est pas comme
les autres. On est obligés de le
garder à la maison. On a dû engager quelqu’un à
domicile. C’est très difficile de
trouver quelqu’un qui accepte. C’est beaucoup de
soucis et de responsabilités, il
est si petit, on a peur de le perdre.
Surtout qu’il est très farceur, il
adore se cacher et il ne répond pas quand on
l’appelle. On passe son temps a le
chercher, il faut vider toutes les poches des
vêtements et chercher dans tous les
tiroirs, ouvrir toutes les boîtes. La dernière fois, il
s’était caché dans une boîte
d’allumettes.
Faire sa toilette est difficile, on
a toujours peur qu’il se noie dans sa cuvette. Ou
qu’il file par la vidange du
lavabo. Le plus dur, c’est de lui couper les ongles.
Pour connaître son poids, on doit
aller à La Poste le mettre sur un pèse-lettre.
Récemment, il a eu une rage de
dents. Aucun dentiste n’a voulu le soigner, j’ai
dû l’emmener chez l’horloger.
Chaque fois que des parents ou des
amis le voient, ils disent : « Comme il a
grandi. » Je ne les crois pas, je
sais bien qu’ils disent ça pour nous faire plaisir.
Un jour, un médecin plus courageux
que les autres nous a dit qu’il ne grandirait
jamais. Le coup a été dur.
Petit à petit, on s’est habitués,
on a vu les avantages.
On peut le garder sur nous, on l’a
toujours sous la main, il n’est pas
encombrant, on se le met vite dans
la poche, il ne paie pas dans les transports en
commun, et surtout il est
affectueux, il adore nous chercher des poux dans la tête.
Un jour, on l’a perdu.
J’ai passé la nuit à soulever les
feuilles mortes, une a une.
C’était l’automne.
C’était un rêve.
53.
Il ne faut pas croire que la mort d’un enfant handicapé
est moins triste. C’est
aussi triste que la mort d’un enfant normal.
Elle est terrible la mort de celui qui n’a jamais été
heureux, celui qui est venu
faire un petit tour sur Terre seulement pour souffrir.
De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d’un
sourire.
54.
Il paraît qu’on va se retrouver un jour, tous les trois.
Est-ce qu’on va se reconnaître ? Comment vous serez ?
Comment vous serez
habillés ? Je vous ai toujours connus en salopette,
peut-être que vous serez en
costume trois-pièces, ou en aube blanche comme les anges
? Peut-être que vous
aurez une moustache ou une barbe, pour faire sérieux ?
Est-ce que vous aurez
changé, est-ce que vous aurez grandi ?
Est-ce que vous allez me reconnaître ? Je risque
d’arriver en très mauvais état.
Je n’oserai pas vous demander si vous êtes toujours
handicapés… Est-ce que
ça existe les handicapés, au Ciel ? Peut-être que vous
serez devenus comme les
autres ?
Est-ce qu’on va pouvoir enfin se parler d’homme à homme,
se dire des choses
essentielles, des choses que je n’ai pas pu vous dire sur
Terre parce que vous ne
compreniez pas le français et que moi, je ne parlais pas
le lutin ?
Au Ciel, on va peut-être enfin se comprendre. Et puis,
surtout, on va retrouver
votre grand-père. Celui dont je n’ai jamais pu vous
parler, et que vous n’avez jamais
connu. Vous allez voir, c’était un personnage étonnant,
il va certainement vous plaire
et vous faire rire.
Il va nous emmener faire des virées dans sa traction, il
va vous faire boire, làhaut
on doit boire de l’hydromel.
Il va rouler vite avec sa voiture, très vite, trop vite.
On n’a pas peur.
On n’a rien à craindre, on est déjà morts.
55.
On a craint un moment que Thomas souffre de la disparition
de son frère. Au
début, il l’a cherché, il ouvrait les armoires, les
tiroirs, mais peu de temps. Ses
activités diverses, les dessins, les soins à Snoopy ont
repris le dessus. Thomas adore
dessiner et peindre. Il est plutôt tendance abstrait. Il
n’a pas eu son époque figurative,
il est passé directement à l’abstrait. Il produit
beaucoup, il ne retouche jamais après. Il
fait des séries qu’il intitule toujours de la même façon.
Il y a les dessins « Pour papa »,
les dessins « Pour maman », et les dessins « Pour Marie
ma soeur ».
Son style n’évolue pas beaucoup, il reste proche de
Pollock. Sa palette est
vive. Les formats restent identiques. Emporté par son
élan, il déborde souvent de son
papier, il continue son oeuvre sur la table, à même le
bois.
Quand il a terminé un dessin, il le donne. Quand on lui
dit que c’est beau, il a
l’air content.
56.
Je reçois parfois des cartes postales qui viennent d’un
camp de vacances où
sont partis les enfants. C’est souvent un coucher de
soleil orange sur la mer ou une
montagne scintillante. Derrière, il est écrit : « Mon
cher papa, je suis très content, je
m’amuse bien. Je pense à toi. » C’est signé Thomas.
L’écriture est belle, régulière, il n’y a pas de fautes
d’orthographe, la monitrice
s’est appliquée. Elle voulait me faire plaisir. Je
comprends sa bonne intention.
Ça ne me fait pas plaisir.
Je préfère les gribouillages informes et illisibles que
fait Thomas. Peut-être
qu’avec ses dessins abstraits, il me dit plus de choses.
57.
Un jour, Pierre Desproges est venu avec moi chercher
Thomas dans son
établissement. Il n’avait pas beaucoup envie, j’avais
insisté.
Comme tous les nouveaux venus, il a été assailli par des
enfants titubant et
bavant, pas toujours très ragoûtants, qui l’ont embrassé.
Lui qui supportait
difficilement ses semblables et était souvent réservé
devant les manifestations
exubérantes de ses groupies, il s’est laissé faire de
bonne grâce.
Cette visite l’a beaucoup remué. Il a eu envie d’y
retourner. Il était fasciné par
ce monde étrange où des enfants de vingt ans couvrent de
baisers leur ours en
peluche, viennent vous prendre par la main ou menacent de
vous couper en deux
avec des ciseaux.
Lui qui adorait l’absurde, il avait trouvé des maîtres.
58.
Quand je pense à Mathieu et Thomas, je vois deux petits
oiseaux ébouriffés.
Pas des aigles, ni des paons, des oiseaux modestes, des
moineaux.
De leurs manteaux bleu marine courts sortaient des
petites cannes de serin. Je
me souviens aussi, quand on les lavait, de leur peau
transparente et mauve, celle des
oisillons avant que les plumes poussent, de leur bréchet
proéminent, de leur torse
plein de côtes. Leur cervelle aussi était d’oiseau.
Il ne leur manquait que les ailes.
Dommage.
Ils auraient pu quitter un monde qui n’était pas fait
pour eux.
Ils se seraient tirés plus vite, à tire-d’aile.
59.
Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais parlé de mes deux
garçons. Pourquoi ? J’avais
honte ? Peur qu’on me plaigne ?
Tout ça un peu mélangé. Je crois surtout que c’était pour
échapper à la
question terrible : « Qu’est-ce qu’ils font ? »
J’aurais pu inventer…
« Thomas est aux États-Unis, au Massachusetts Institute
of Technology. Il
prépare un diplôme sur les accélérateurs de particules.
Il est content, ça marche bien,
il a rencontré une jeune Américaine, elle s’appelle
Marilyn, elle est belle comme un
coeur, il va certainement s’installer là-bas.
- Ce n’est pas trop dur pour vous, l’éloignement ?
- L’Amérique, ce n’est pas le bout du monde. Et puis,
l’important, c’est qu’il soit
heureux. On a souvent des nouvelles, il téléphone toutes
les semaines à sa mère. En
revanche, Mathieu, qui fait un stage chez un architecte à
Sydney, ne donne plus de
nouvelles… »
J’aurais pu dire la vérité, aussi.
« Vous voulez vraiment savoir ce qu’ils font ? Mathieu ne
fait plus rien, il n’est
plus là. Vous ne le saviez pas, ne vous excusez pas, la
disparition d’un enfant
handicapé, ça passe souvent inaperçu. On parle de
soulagement…
« Thomas est toujours là, il traîne dans les couloirs de
son centre médicopédagogique
en serrant une vieille poupée mâchouillée, il parle à sa
main en
poussant des cris étranges.
- Pourtant, il est grand maintenant, ça lui fait quel âge
?
- Non, il n’est pas grand ; vieux, peut-être, mais pas
grand. Il ne sera jamais
grand. On ne devient jamais grand quand on a de la paille
dans la tête. »
60.
Quand j’étais petit, je faisais des excentricités pour me
faire remarquer. À six
ans, les jours de marché, je volais à l’étal du
poissonnier un hareng, et mon grand jeu
était de poursuivre les filles pour frotter leurs jambes
nues avec mon poisson.
Au collège, pour faire romantique et ressembler à Byron,
je mettais des
lavallières au lieu de cravates, et pour faire
iconoclaste j’avais mis la statue de la
Sainte Vierge dans les chiottes.
Chaque fois que j’entrais dans un magasin pour essayer un
vêtement, il
suffisait qu’on me dise : « Ça plaît beaucoup, j’en ai
vendu une dizaine hier » pour que
je n’achète pas. Je ne voulais pas ressembler aux autres.
Plus tard, quand j’ai commencé à travailler à la
télévision, qu’on m’a confié des
petits tournages, j’essayais toujours, avec plus ou moins
de bonheur, de trouver un
endroit inhabituel pour placer la caméra.
Je me souviens d’une anecdote du peintre Édouard Pignon
sur lequel j’avais
fait un documentaire pour la télévision. Alors qu’il peignait
des troncs d’olivier, un
enfant était passé ; après avoir regardé son tableau, il
lui avait déclaré : « Ça ne
ressemble à rien, ce que tu fais. » Pignon, flatté, lui
avait dit : « Tu viens de me faire le
plus beau compliment, il n’y a rien de plus difficile que
de faire quelque chose qui ne
ressemble à rien. »
Mes enfants ne ressemblent à personne. Moi qui voulais
toujours ne pas faire
comme les autres, je devrais être content.
61.
À chaque époque, dans chaque ville, dans chaque école, il
y a toujours eu et il
y aura toujours, au fond de la classe, souvent près du
radiateur, un élève au regard
vide. Chaque fois qu’il se lève, qu’il ouvre la bouche
pour répondre à une question, on
sait qu’on va rire. Il répond toujours n’importe quoi,
parce qu’il n’a pas compris, qu’il
ne comprendra jamais. Le prof, quelquefois sadique,
insiste, pour amuser la galerie,
mettre de l’ambiance et remonter son audimat.
L’enfant au regard vide, debout au milieu des élèves
déchaînés, n’a pas envie
de faire rire, il ne le fait pas exprès, au contraire. Il
aimerait bien ne pas faire rire, il
aimerait bien comprendre, il s’applique, mais malgré ses
efforts il dit des bêtises,
parce qu’il est non comprenant.
Quand j’étais gosse, j’étais le premier à en rire,
maintenant, j’ai une grande
compassion pour cet écolier au regard vide. Je pense à
mes enfants.
Heureusement, on ne pourra même pas se moquer d’eux à
l’école. Ils n’iront
jamais à l’école.
62.
Je n’aime pas le mot « handicapé ». C’est un mot anglais,
ça voudrait dire « la
main dans le chapeau ».
Je n’aime pas non plus le mot « anormal », surtout quand
il est collé à
« enfant ».
Qu’est-ce que ça veut dire, normal ? Comme il faut être,
comme on devrait
être, c’est-à-dire dans la moyenne, moyen. Je n’aime pas
trop ce qui est dans la
moyenne, je préfère ceux qui ne sont pas dans la moyenne,
ceux au-dessus, et
pourquoi pas ceux au-dessous, en tout cas pas comme tout
le monde. Je préfère
l’expression « pas comme les autres ». Parce que je
n’aime pas toujours les autres.
Ne pas être comme les autres, ça ne veut pas dire
forcément être moins bien
que les autres, ça veut dire être différent des autres.
Qu’est-ce que ça veut dire, un oiseau pas comme les
autres ? Aussi bien un
oiseau qui a le vertige qu’un oiseau capable de siffler
sans partition toutes les sonates
pour flûte de Mozart.
Une vache pas comme les autres, ça peut être une vache
qui sait téléphoner.
Quand je parle de mes enfants, je dis qu’ils ne sont «
pas comme les autres ».
Ça laisse planer un doute.
Einstein, Mozart, Michel-Ange n’étaient pas comme les
autres.
63.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais conduits
au musée. On aurait
regardé ensemble les tableaux de Rembrandt, Monet, Turner
et encore Rembrandt…
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais offert des
disques de musique
classique, on aurait écouté ensemble d’abord Mozart, puis
Beethoven puis Bach et
encore Mozart.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais offert
plein de livres de Prévert,
Marcel Aymé, Queneau, Ionesco et encore Prévert.
Si vous étiez comme les autres je vous aurais emmenés au
cinéma, on aurait
vu ensemble les vieux films de Chaplin, Eisenstein,
Hitchcock, Buñuel et encore
Chaplin.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais emmenés
dans les grands
restaurants, je vous aurais fait boire du
chambolle-musigny et encore du chambollemusigny.
Si vous étiez comme les autres, on aurait fait ensemble
des matchs de tennis,
de basket et de volley-ball.
Si vous étiez comme les autres, on serait montés ensemble
dans les clochers
des cathédrales gothiques, pour avoir un point de vue
d’oiseau.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais offert des
fringues à la mode,
pour que vous soyez les plus beaux.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais conduits
au bal avec vos
fiancées dans ma vieille voiture décapotable.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais donné en
douce des petits
biffetons pour faire des cadeaux à vos fiancées.
Si vous étiez comme les autres, on aurait fait une grande
fête pour votre
mariage.
Si vous étiez comme les autres, j’aurais eu des
petits-enfants.
Si vous étiez comme les autres, j’aurais peut-être eu
moins peur de l’avenir.
Mais si vous aviez été comme les autres, vous auriez été
comme tout le
monde.
Peut-être que vous n’auriez rien foutu en classe.
Vous seriez devenus délinquants.
Vous auriez bricolé le pot d’échappement de votre scooter
pour faire plus de
bruit.
Vous auriez été chômeurs.
Vous auriez aimé Jean-Michel Jarre.
Vous vous seriez mariés avec une conne.
Vous auriez divorcé.
Et peut-être que vous auriez eu des enfants handicapés.
On l’a échappé belle.
64.
J’ai fait castrer mon chat, sans le prévenir, sans lui
demander la permission.
Sans lui expliquer les avantages et les inconvénients. Je
lui ai simplement dit qu’on
allait lui retirer les amygdales. J’ai l’impression que
depuis, il me fait la gueule. Je
n’ose plus le regarder dans les yeux. J’ai des remords.
Je pense à une époque où on voulait castrer les enfants
handicapés. Que la
bonne société se rassure, mes enfants ne vont pas se
reproduire. Je n’aurai pas de
petits-enfants, je n’irai pas me promener avec une petite
main qui gigotera dans ma
vieille main, personne ne me demandera où le soleil s’en
va quand il se couche,
personne ne m’appellera grand-père, sauf les jeunes cons
en voiture derrière moi
parce que je ne roule pas assez vite. La lignée va
s’arrêter, on va en rester là. Et c’est
mieux comme ça.
Les parents ne doivent faire que des enfants normaux, ils
auront tous le
premier prix ex æquo au concours du plus beau bébé et,
plus tard, le premier prix au
concours général. L’enfant anormal doit être interdit.
Pour mes petits oiseaux, le problème ne se pose pas, on
n’a pas à s’inquiéter.
Ils ne feront pas beaucoup de dégâts avec leur petit zizi
minuscule comme un
bigorneau.
65.
Je viens d’acheter d’occasion une Camaro, une voiture
américaine. Elle est vert
foncé, l’intérieur est en simili blanc, un peu
m’as-tu-vu.
Nous partons en vacances au Portugal.
Nous emmenons Thomas avec nous, il va voir la mer. Nous
sommes passés le
prendre à La Source, son institut médico-pédagogique près
de Tours.
La Camaro glisse sur la route, silencieuse.
Après une nuit passée en Espagne, nous arrivons à Sagres,
le but du voyage.
L’hôtel est blanc, le ciel bleu et la lumière sur la mer
intense, presque l’Afrique.
Quel bonheur d’être enfin arrivés. Nous faisons descendre
Thomas, il est ravi, il
regarde l’hôtel, il s’écrie : « La Source, La Source ! »
en tapant dans ses mains. Il se
croit retourné à son IMP. Peut-être qu’il est ébloui par
le soleil, ou c’est un gag, il dit
ça pour nous faire rire.
L’hôtel est un peu chichiteux, le personnel est en
uniforme bordeaux avec des
boutons dorés. Les serveurs portent tous un badge avec
leur nom, le nôtre s’appelle
Victor Hugo. Thomas veut embrasser tout le monde.
Thomas est servi comme un petit prince. Ce qu’il n’aime
pas, c’est que le
maître d’hôtel, avant de servir, retire les assiettes de
présentation qui sont sur la table.
Il se met en colère, s’accroche à son assiette, il ne
veut pas qu’on la lui prenne, il
crie : « Non, monsieur ! Pas l’assiette ! Pas l’assiette
! » Il doit croire que si on lui
prend son assiette, il n’aura rien à manger.
Thomas a peur de l’océan, du bruit de ses grosses vagues.
J’essaie de
l’habituer. Je marche dans la mer en le portant dans mes bras,
il s’accroche à moi,
terrorisé. Je n’oublierai jamais son expression
terrifiée. Un jour, il a trouvé une astuce
pour arrêter son supplice et qu’on sorte de l’eau, il a
pris un air tragique et, très fort,
pour qu’on l’entende malgré le fracas des vagues, il a
crié : « Caca ! » Croyant à une
urgence, je l’ai sorti de l’eau.
J’ai vite compris que ce n’était pas vrai. J’étais tout
ému. Thomas n’est pas
idiot, il y a quand même quelques étincelles dans son
petit cerveau d’oiseau.
Il est capable de mentir.
66.
Mathieu et Thomas n’auront jamais de Carte bleue ni de
carte de parking dans
leur portefeuille. Ils n’auront jamais de portefeuille,
leur seule carte, ce sera une carte
d’invalidité.
Elle est de couleur orange, pour faire gai. Elle porte la
mention « Station debout
pénible », en caractères verts.
Elle a été délivrée par le commissaire de la République
de Paris.
Leur taux d’incapacité, en pourcentage, est de 80 %.
Le commissaire de la République, qui ne se fait aucune
illusion sur leur
évolution, la leur a délivrée « à titre définitif ».
Sur la carte, il y a leur photo. Leur étrange tête, leur
regard vague… À quoi
pensent-ils ?
Elle me sert encore aujourd’hui. Je la mets parfois sur
mon pare-brise quand je
suis mal garé. Grâce à eux, j’évite une contravention.
67.
Mes enfants n’auront jamais un curriculum vitae.
Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Rien.
Ça tombe bien, on ne leur demandera jamais rien.
Qu’est-ce qu’on pourrait mettre sur leur curriculum vitae
? Enfance anormale,
puis placement définitif en institut médico-pédagogique,
d’abord La Source, puis Le
Cèdre, que des jolis noms.
Mes enfants n’auront jamais un casier judiciaire. Ils
sont innocents. Ils n’ont rien
fait de mal, ils ne sauraient pas.
Quelquefois, l’hiver, quand je les vois avec leur cagoule,
je les imagine en
braqueurs de banque. Ils ne seraient pas bien dangereux
avec leurs gestes incertains
et leurs mains qui tremblent.
La police pourrait les attraper facilement, ils ne se
sauveraient pas, ils ne
savent pas courir.
Je ne comprendrai jamais pourquoi ils ont été punis si
lourdement. C’est
profondément injuste, ils n’ont rien fait.
Ça ressemble à une terrible erreur judiciaire.
68.
Dans un sketch inoubliable, Pierre Desproges se venge de
ses jeunes enfants
et des horreurs qu’ils lui offrent pour la fête des Mères
et des Pères.
Moi, je n’ai pas eu à me venger. Je n’ai jamais rien eu.
Pas de cadeau, pas de
compliment, rien.
Ce jour-là, pourtant, j’aurais donné cher pour un pot de
yaourt que Mathieu
aurait transformé en vide-poches. Il l’aurait habillé
avec de la feutrine mauve et il
aurait collé dessus des étoiles qu’il aurait découpées
lui-même dans du papier doré.
Ce jour-là, j’aurais donné cher pour avoir un compliment
mal écrit par Thomas,
où il aurait réussi à tracer, avec beaucoup de difficulté
: « Je tème bocou. »
Ce jour-là, j’aurais donné cher pour un cendrier biscornu
comme un
topinambour, que Mathieu aurait fait avec de la pâte à
modeler et sur lequel il aurait
gravé « Papa ».
Comme ils ne sont pas comme les autres, ils auraient pu
me faire des cadeaux
pas comme les autres. Ce jour-là, j’aurais donné cher
pour un caillou, une feuille
séchée, une mouche verte, un marron, une bête à bon Dieu…
Comme ils ne sont pas comme les autres, ils auraient pu
me faire des dessins
pas comme les autres. Ce jour-là, j’aurais donné cher
pour des animaux tordus
comme des chameaux rigolos à la Dubuffet et des chevaux à
la Picasso.
Ils n’ont rien fait.
Pas par mauvaise volonté, pas parce qu’ils n’ont pas
voulu, je pense qu’ils
auraient bien voulu, ils n’ont pas pu. À cause de leurs
mains qui tremblent, de leurs
yeux qui ne voient pas bien clair et de la paille qu’il y
a dans leur tête.
69.
Cher papa,
À l’occasion de la fête des Pères, on voulait t’écrire
une lettre. La voici.
On ne te félicite pas pour ce que tu as fait :
regarde-nous. C’était si difficile de
faire des enfants comme tout le monde ? Quand on sait le
nombre d’enfants normaux
qui naissent tous les jours et qu’on voit la tête de
certains parents, on se dit que ça ne
doit pas être bien sorcier.
On ne te demandait pas de faire des petits génies,
seulement des normaux.
Une fois encore, tu n’as pas voulu faire comme les
autres, tu as gagné, et nous on a
perdu. Tu crois que c’est marrant d’être handicapé ? On a
quelques avantages. On a
échappé à l’école, pas de devoirs, pas de leçons, pas
d’examens, pas de punitions.
En revanche, pas de récompenses, on a loupé pas mal de
choses.
Peut-être que Mathieu aurait aimé faire du football. Tu
le vois sur un terrain,
tout fragile au milieu d’une bande de grosses brutes ? Il
n’en serait pas sorti vivant.
Moi, j’aurais bien aimé être chercheur en biologie.
Impossible avec la paille que
j’ai dans la tête.
Tu crois que c’est marrant de passer sa vie avec des
handicapés ? Il y en a des
pas faciles, qui crient tout le temps et nous empêchent
de dormir, et des méchants qui
mordent.
Comme on n’est pas rancuniers et qu’on t’aime bien quand
même, on te
souhaite une bonne fête des Pères.
Tu trouveras derrière la lettre un dessin que j’ai fait
pour toi. Mathieu, qui ne
sait pas dessiner, t’embrasse.
70.
L’enfant pas comme les autres n’est pas une spécialité
nationale, il existe en
plusieurs versions.
Dans l’IMP où sont placés Thomas et Mathieu, il y a un
enfant cambodgien.
Ses parents ne parlent pas très bien le français, les
entretiens avec le médecin chef
de l’établissement sont difficiles, parfois épiques. Ils
en sortent souvent dépités. Ils
contestent toujours avec force le diagnostic du médecin.
Leur fils n’est pas mongolien, il est cambodgien.
71.
Il ne faut pas parler de génétique, c’est un mot qui
porte malheur.
Ce n’est pas moi qui pense à la génétique, c’est la
génétique qui a pensé à
moi.
Je regarde mes deux petits gamins cabossés, j’espère que
ce n’est pas de ma
faute s’ils ne sont pas comme les autres.
S’ils ne savent pas parler, s’ils ne savent pas écrire,
s’ils ne savent pas compter
jusqu’à 100, s’ils ne savent pas rouler à vélo, s’ils ne
savent pas nager, s’ils ne savent
pas jouer de piano, s’ils ne savent pas lacer leurs
bottines, s’ils ne savent pas manger
des bigorneaux, s’ils ne savent pas se servir d’un
ordinateur, ce n’est quand même
pas parce que je les ai mal élevés, ce n’est pas à cause
de leur environnement…
Regardez-les. S’ils boitent, s’ils sont bossus, ce n’est
pas de ma faute. C’est la
faute à pas de chance.
Peut-être que « génétique », c’est le terme savant pour
dire pas de chance ?
72.
Ma fille Marie a raconté à ses camarades d’école qu’elle
avait deux frères
handicapés. Elles n’ont pas voulu la croire. Elles lui
ont dit que ce n’était pas vrai,
qu’elle se vantait.
73.
On entend certaines mères, devant le berceau de leur
enfant, dire : « On ne
voudrait pas qu’il grandisse, on voudrait qu’il reste
toujours comme ça. » Les mères
d’enfants handicapés ont beaucoup de chance, elles
joueront à la poupée plus
longtemps.
Mais un jour, la poupée pèsera trente kilos et elle ne
sera pas toujours docile.
Les pères s’intéressent aux enfants quand ils sont plus
grands, quand ils sont
curieux, quand ils commencent à poser des questions.
J’ai attendu vainement ce moment-là. Il n’y a jamais eu
qu’une seule question :
« Où on va, papa ? »
Le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un enfant, c’est
de répondre à sa
curiosité, lui donner le goût des belles choses. Avec
Mathieu et Thomas, je n’ai pas eu
cette chance.
J’aurais bien aimé être instituteur, apprendre des choses
aux enfants sans les
ennuyer.
J’ai fait pour les enfants des dessins animés que les
miens n’ont pas vus, des
livres qu’ils n’ont pas lus.
J’aurais aimé qu’ils soient fiers de moi. Qu’ils disent à
leurs camarades : « Mon
père, il est mieux que le tien. »
Si les enfants ont besoin d’être fiers de leur père,
peut-être que les pères, pour
se rassurer, ont besoin de l’admiration de leurs enfants.
74.
À l’époque où il y avait une mire entre les programmes de
la télévision, Mathieu
et Thomas étaient capables de rester des heures devant
l’écran à la regarder.
Thomas aime bien la télévision, surtout depuis le jour où
il m’a vu dans le poste. Lui
qui ne voit pas bien, il a réussi, sur un petit écran, à
me distinguer au milieu d’autres
personnes. Il m’a reconnu, il a crié : « Papa ! »
Après l’émission, il n’a pas voulu aller dîner, il
voulait rester devant le poste, il
criait : « Papa, Papa ! » Il pensait que j’allais
revenir.
Je me trompe peut-être quand je pense que je ne compte
pas beaucoup pour
lui et qu’il peut très bien vivre sans moi. Ça me touche,
en même temps ça me
culpabilise. Je me vois mal vivre avec lui, aller tous
les jours à Carrefour voir les
Snoopies.
Thomas va bientôt avoir quatorze ans. À son âge, je
passais mon BEPC.
75.
Je regarde Thomas. J’ai de la peine à me reconnaître en
lui, on ne se
ressemble pas. C’est peut-être mieux. Je ne dirais pas
pour lequel des deux. Qu’estce
qui m’a pris de vouloir me reproduire ?
De l’orgueil ? J’étais tellement fier de moi que je
voulais laisser sur la Terre des
petits « moi » ?
Je ne voulais pas mourir entièrement, je voulais laisser
des traces, pour qu’on
puisse me suivre, à la trace ?
J’ai parfois l’impression d’avoir laissé des traces, mais
de celles qu’on laisse
après avoir marché sur un parquet ciré avec des
chaussures pleines de terre et qu’on
se fait engueuler.
Quand je regarde Thomas, quand je pense à Mathieu, je me
demande si j’ai
bien fait de les faire.
Faudrait le leur demander.
J’espère quand même que, mises bout à bout, toutes leurs
petites joies,
Snoopy, un bain tiède, la caresse d’un chat, un rayon de
soleil, un ballon, une
promenade à Carrefour, les sourires des autres, les
petites voitures, les frites… auront
rendu le séjour supportable.
76.
Je me souviens d’une colombe blanche. Elle était à
l’atelier de l’IMP où les
enfants faisaient des travaux manuels, c’est-à-dire que
certains barbouillaient de
peinture des feuilles de papier. Les autres étaient
prostrés ou riaient aux anges.
Quand la colombe blanche vole dans la pièce, certains
enfants émerveillés
battent des mains. Elle laisse parfois tomber une petite
plume qui descend en
zigzaguant et qu’un enfant suit du regard. Il y a dans
l’atelier une sorte de paix, peutêtre
à cause de la colombe. Il arrive qu’elle se pose sur la
table, ou mieux sur l’épaule
d’un enfant. On pense à Picasso, à L’Enfant à la colombe. Certains en ont peur et
hurlent de terreur, mais la colombe est de bonne
composition. Thomas la poursuit en
l’appelant « tite poule », il voudrait l’attraper,
peut-être pour la plumer ?
Le monde des animaux et des hommes a rarement été en
telle harmonie. Entre
cervelles d’oiseaux, le courant passe. Saint François
d’Assise n’est pas loin, et Giotto,
avec ses tableaux pleins d’oiseaux.
Les innocents ont les mains pleines. De peinture.
77.
Thomas a dix-huit ans, il a grandi, il a de la peine à se
tenir debout, le corset ne
suffit plus, il a besoin d’un tuteur. J’ai été choisi.
Un tuteur doit avoir les pieds profondément enfoncés dans
la terre, il doit être
solide, stable, capable de résister au vent, il doit
rester droit au milieu des tempêtes.
Drôle d’idée de m’avoir choisi.
C’est moi maintenant qui ai la gestion de son argent, je
dois signer les
chèques. Thomas, il s’en fout de l’argent, il ne sait pas
bien ce que c’est. Je me
souviens d’un jour, au Portugal, dans un restaurant, il
avait sorti de mon portefeuille
tous les billets et les avait distribués à tout le monde.
Je suis sûr que si je demandais
à Thomas son avis, s’il pouvait me le donner, il me
dirait : « Vas-y, papa, profites-en,
on va s’amuser, on va aller claquer ensemble mes
allocations d’invalidité. »
Il n’est pas radin. Avec son argent, on s’achètera un
beau cabriolet. On partira
comme deux vieux amis en goguette, faire la fête. Comme
dans les films, on
descendra sur la Côte, on ira dans les beaux hôtels avec
plein de lustres, on dînera
dans les grands restaurants, on boira du Champagne, on se
racontera plein
d’histoires, on parlera de voitures, de bouquins, de
musique, de cinéma et de filles…
On se promènera la nuit au bord de la mer, sur des
grandes plages désertes.
On regardera les poissons phosphorescents laisser des
traînées lumineuses dans
l’eau noire. On philosophera sur la vie, sur la mort, sur
Dieu. On regardera les étoiles
et les lumières tremblantes de la côte. Parce qu’on
n’aura pas les mêmes avis sur
tout, on s’engueulera. Il me traitera de vieux con, moi
je lui dirai : « Un peu de respect,
s’il te plaît, je suis ton père », et il me répondra : «
Tu n’as pas de quoi être fier. »
78.
Un enfant handicapé a le droit de vote.
Thomas est majeur, il va pouvoir voter. Je suis sûr qu’il
a beaucoup réfléchi,
pesé le pour et le contre, analysé méticuleusement les
programmes des deux
candidats, leur fiabilité économique, il a fait
l’inventaire des états-majors de chaque
parti.
Il hésite encore, il n’arrive pas à choisir.
Snoopy ou Minou ?
79.
Après un silence, il a dit soudainement : « Et tes
garçons ? »
Il ne doit même pas savoir qu’il y en a un qui n’est plus
là depuis plusieurs
années.
Sans doute que la conversation languissait, qu’il
craignait qu’à nouveau un
ange passe. Le repas était terminé, tout le monde avait
parlé de son actualité, il fallait
réactiver l’ambiance. Le maître de maison ajouta, avec
l’air de celui qui en a une bien
bonne à vous raconter : « Saviez-vous que Jean-Louis a
deux enfants handicapés ? »
L’information fut suivie d’un grand silence, puis d’une
étrange rumeur faite de
compassion, d’étonnement et de curiosité venant de ceux
qui ne savaient pas. Une
femme charmante se mit à me regarder avec le sourire
triste et humide qu’on voit aux
femmes du peintre Greuze.
Oui, mon actualité à moi, ce sont mes enfants handicapés,
mais je n’ai pas
toujours envie d’en parler.
Ce que le maître de maison attend de moi, c’est de faire
rire. Exercice périlleux,
mais j’ai fait de mon mieux.
Je leur ai raconté le dernier Noël à l’IMP où étaient
placés mes enfants. Le
sapin que les enfants ont fait tomber, la chorale où
chacun chantait une chanson
différente, le sapin qui ensuite a pris feu, l’appareil
de cinéma qui est tombé pendant
la projection, le gâteau à la crème qu’on a renversé et
les parents à quatre pattes
sous les tables pour éviter les boules de pétanque qu’un
père imprudent avait offertes
à son fils qui les jetait en l’air, tout ça sur fond de «
Il est né le divin enfant »…
Au début, ils étaient un peu gênés, ils n’osaient pas
rire. Puis, petit à petit, ils
ont osé. J’ai fait un beau succès. Le maître de maison
était content.
Je crois que je serai réinvité.
80.
Thomas parle à sa main, il l’appelle Martine. Il a avec
Martine de longues
conversations, elle doit lui répondre, mais il est le
seul à l’entendre.
Il prend une petite voix pour lui dire des choses
gentilles. Quelquefois le ton
monte entre eux, il n’a pas l’air content du tout,
Martine a dû dire quelque chose qui
ne lui a pas plu, il prend alors une grosse voix et il
l’engueule.
Peut-être qu’il lui reproche de ne pas savoir faire
grand-chose ?
Il faut reconnaître que Martine n’est pas très habile et
qu’elle ne l’aide pas
beaucoup dans la vie quotidienne pour s’habiller, pour
manger. Elle n’est pas précise,
elle renverse quand il boit, elle tâtonne, elle ne sait
pas boutonner sa chemise, elle ne
sait pas lacer ses souliers, souvent elle tremble…
Elle ne sait même pas caresser correctement le chat, ses
caresses
ressemblent à des coups et le chat, qui a peur, se sauve.
Elle ne sait pas jouer du piano, elle ne sait pas
conduire une voiture, elle ne sait
même pas écrire, elle est tout juste bonne à faire des dessins
abstraits. Peut-être
alors que Martine lui répond que ce n’est pas de sa
faute, qu’elle attend les ordres. Ce
n’est pas à elle de prendre les initiatives, c’est à lui.
Elle n’est qu’une main.
81.
« Allô, bonjour Thomas, c’est papa à l’appareil. »
Un grand silence.
J’entends une respiration difficile très forte, puis la
voix de la monitrice :
« Tu entends, Thomas ? C’est papa.
- Bonjour Thomas, tu me reconnais ? C’est papa, tu vas
bien, Thomas ? »
Silence. Seulement la respiration difficile… Enfin, Thomas
se met à parler.
Depuis qu’il a mué, il a une grosse voix.
« Où on va, papa ? »
Il m’a reconnu. On peut continuer la conversation.
« Comment tu vas, Thomas ?
- Où on va, papa ?
- Tu as fait des beaux dessins, pour papa, pour maman,
pour Marie ta soeur ? »
Silence. Seulement la respiration difficile.
« On va à la maison ?
- Tu fais des beaux dessins ?
- Martine.
- Elle va bien, Martine ?
- Des fites des fites des fites !
- Tu as mangé des frites, c’était bon ?… Tu veux manger
des frites ? »
Silence…
« Tu fais un baiser à papa ? Tu dis au revoir à papa ? Tu
fais un baiser ? »
Silence.
J’entends le combiné qui se balance dans le vide, des
voix au loin. À nouveau
la monitrice à l’appareil, elle me signale que Thomas a
lâché le combiné, il est parti.
Je raccroche.
On s’était dit l’essentiel.
82.
Thomas ne va pas très bien. Il est nerveux malgré les
calmants. Il a parfois des
crises où il est très violent. Il faut quelquefois le
faire interner à l’hôpital
psychiatrique…
Nous allons le voir la semaine prochaine, déjeuner avec
lui. Comme c’est
bientôt Noël, j’ai proposé à l’éducatrice de lui apporter
un cadeau, mais lequel ?
Elle m’a dit qu’ils écoutaient de la musique toute la
journée. Toutes sortes de
musiques, même de la classique. Un pensionnaire qui a des
parents musiciens
écoute du Mozart et du Berlioz. J’ai pensé aux Variations Goldberg, une partition
écrite par J.-S. Bach pour calmer le comte de Keyserling
qui était un monsieur très
nerveux. À l’IMP, il y a certainement beaucoup de comtes
de Keyserling qui ont
besoin d’être calmés, J.-S. Bach ne peut que leur faire
du bien. Je leur ai apporté le
disque. L’éducatrice va tenter l’expérience.
Si un jour Bach pouvait remplacer Prozac…
83.
Trente ans plus tard, j’ai retrouvé au fond d’un tiroir
les faire-part de naissance
de Thomas et de Mathieu. C’étaient des faire-part
classiques, nous aimions la
simplicité, ni fleurs ni cigognes.
Le papier a jauni, mais on arrive très bien à lire, écrit
en anglaises, que nous
avons la joie de vous annoncer la naissance de Mathieu,
puis de Thomas.
Bien sûr que ce fut une joie, un moment rare, une
expérience unique, une
émotion intense, un bonheur indicible…
La déception fut à la hauteur.
Nous avons la douleur de vous apprendre que Mathieu et
Thomas sont
handicapés, qu’ils ont de la paille dans la tête, qu’ils
ne feront jamais d’études, qu’ils
feront des bêtises toute leur vie, que Mathieu sera très
malheureux et qu’il nous
quittera rapidement. Le fragile Thomas restera plus
longtemps, toujours plus voûté…
Il parle toujours à sa main, il se déplace difficilement,
il ne dessine plus, il est moins
gai qu’avant, il ne demande plus où on va, papa.
Peut-être qu’il est bien là où il est.
Ou alors, il n’a plus envie d’aller nulle part…
84.
Chaque fois que je reçois un faire-part de naissance, je
n’ai pas envie de
répondre, ni de féliciter les heureux gagnants.
Bien sûr que je suis jaloux. Je suis surtout agacé après.
Quand, quelques
années plus tard, les parents béats et tout confits
d’admiration me montrent les photos
de leur adorable enfant. Ils citent ses derniers bons
mots et parlent de ses
performances. Je les trouve arrogants et vulgaires. Comme
celui qui parlerait des
performances de sa Porsche au propriétaire d’une vieille
2 CV.
« À quatre ans, il sait déjà lire et compter… »
On ne m’épargne pas, on me montre les photos de
l’anniversaire, le petit chéri
qui souffle les quatre bougies après les avoir comptées,
le père qui filme avec le
caméscope. J’ai alors des vilaines pensées dans la tête,
je vois les bougies qui
mettent le feu à la nappe, au rideau, à toute la maison.
Certainement que vos enfants sont les plus beaux du
monde, les plus
intelligents. Les miens, les plus moches et les plus
bêtes. C’est de ma faute, je les ai
loupés.
À quinze ans, Thomas et Mathieu ne savaient ni lire, ni
écrire, et à peine parler.
85.
Il y avait longtemps que je n’étais pas allé voir Thomas.
Je suis allé le voir hier.
Il est de plus en plus souvent dans un fauteuil roulant.
Il se déplace difficilement. Il m’a
reconnu au bout d’un moment, il a demandé : « Où on va,
papa ? »
Il est de plus en plus voûté. Il a voulu aller se
promener dehors. Notre
conversation est sommaire et répétitive. Il parle moins
qu’avant, il parle toujours à sa
main.
Il nous a emmenés dans sa chambre. Elle est claire et
peinte en jaune, Snoopy
est toujours sur le lit. Sur le mur, il y a une oeuvre
abstraite de ses débuts, sorte
d’araignée emmêlée dans sa toile.
Il a changé de pavillon, il est dans une petite unité de
douze pensionnaires, des
adultes qui ressemblent à des vieux enfants. Ils n’ont
pas d’âge, ils sont indatables. Ils
ont dû naître un 30 février…
Le plus âgé fume la pipe et il tire la langue aux
éducateurs. Il y a un aveugle qui
se promène dans les couloirs en suivant à tâtons les
murs. Certains nous disent
bonjour, la majorité nous ignore. Quelquefois, on entend
un cri, puis le silence, seul le
bruit des pantoufles de l’aveugle.
On doit enjamber quelques pensionnaires allongés par
terre, au milieu de la
pièce, les yeux au ciel ; ils rêvent, parfois ils rient
aux anges.
Ce n’est pas triste, c’est étrange, parfois beau. Les
gestes lents de certains qui
brassent l’air s’apparentent à une chorégraphie, à des
mouvements de danse
moderne ou de théâtre Kabuki. Un autre, qui fait avec ses
bras des contorsions
devant son visage, fait penser aux autoportraits d’Egon
Schiele.
À une table, sont assis deux malvoyants qui se caressent
les mains. À une
autre, un pensionnaire, le crâne dégarni, les cheveux
gris ; on l’imaginerait en
costume trois-pièces gris, il a l’air d’un notaire, sauf
qu’il a un bavoir et répète sans
arrêt : « Caca, caca, caca… »
Tout est permis, toutes les excentricités, toutes les
folies, on n’est pas jugé.
Ici, quand on est sérieux et qu’on se comporte
normalement, on est presque
gêné, on a le sentiment de ne pas être comme les autres
et d’être un peu ridicule.
Quand je vais là-bas, j’ai envie de faire comme eux, des
bêtises.
86.
À l’IMP, tout est difficile, quelquefois impossible.
S’habiller, lacer ses
chaussures, fermer une ceinture, ouvrir une fermeture
Éclair, tenir une fourchette.
Je regarde un vieil enfant de vingt ans. Son éducateur
essaye de lui faire
manger tout seul des petits pois. Je me rends compte de
la performance que
représentent les moindres gestes de sa vie quotidienne.
Il y a quelquefois des petites victoires qui valent une
médaille d’or aux Jeux
olympiques. Il vient d’attraper plusieurs petits pois
avec la fourchette et les a portés à
la bouche sans faire tout tomber. Il est très fier, il
nous regarde, rayonnant. On jouerait
bien l’hymne national en son honneur et en l’honneur de
son entraîneur.
87.
La semaine prochaine a lieu à l’institut
médico-pédagogique une grande
manifestation sportive, les XIIIe jeux intercentres,
destinés aux pensionnaires les
moins atteints. Il y a plusieurs disciplines : boules sur
cible, parcours tricycle, basket,
lancer de précision, parcours moteur et tirs au but. Je
ne peux pas m’empêcher de
penser au dessin de Reiser représentant les Jeux
olympiques pour handicapés. Le
stade est couvert de grands calicots avec, inscrit dessus
: « Interdit de rire. »
Évidemment, Thomas ne participe pas. Il va être
spectateur. On va le sortir et
installer son fauteuil devant le terrain de sport pour
regarder le spectacle. Ça
m’étonnerait que ça l’intéresse, il est de plus en plus
enfermé dans son monde
intérieur. À quoi pense-t-il ?
Est-ce qu’il sait ce qu’il a représenté pour moi, il y a
plus de trente ans, le
lumineux petit angelot blond qui riait toujours ?
Maintenant il ressemble à une
gargouille, il bave et il ne rit plus.
À l’issue de la manifestation, il y a le classement avec
la remise des médailles
et des coupes.
J’aurais bien aimé avoir des enfants dont je sois fier.
Pouvoir montrer à mes
amis vos diplômes, vos prix et toutes les coupes que vous
auriez gagnées sur les
stades. On les aurait exposées dans une vitrine dans le
salon avec des photos où on
nous aurait vus ensemble.
J’aurais, sur la photo, la mine béate et satisfaite du
pêcheur qui s’est fait
photographier avec le poisson énorme qu’il vient
d’attraper.
88.
Quand j’étais jeune, je souhaitais avoir plus tard une
ribambelle d’enfants. Je
me voyais gravir des montagnes en chantant, traverser des
océans avec des petits
matelots qui me ressembleraient, parcourir le monde suivi
par une joyeuse tribu
d’enfants curieux au regard vif, à qui j’apprendrais
plein de choses, le nom des arbres,
des oiseaux et des étoiles.
Des enfants à qui j’apprendrais à jouer au basket et au
volley-ball, avec qui je
ferais des matchs que je ne gagnerais pas toujours.
Des enfants à qui je montrerais des tableaux et ferais
écouter de la musique.
Des enfants à qui j’apprendrais en secret des gros mots.
Des enfants à qui j’enseignerais la conjugaison du verbe
péter.
Des enfants à qui j’expliquerais le fonctionnement du moteur
à explosion.
Des enfants pour qui j’inventerais des histoires
rigolotes.
Je n’ai pas eu de chance. J’ai joué à la loterie
génétique, j’ai perdu.
89.
« Ils ont quel âge, maintenant, vos enfants ? »
Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre.
Mes enfants sont indatables. Mathieu est hors d’âge et
Thomas doit avoir dans
les cent ans.
Ce sont deux petits vieillards voûtés. Ils n’ont plus
toute leur tête, mais ils sont
toujours gentils et affectueux.
Mes enfants n’ont jamais connu leur âge. Thomas continue
à mâchouiller un
vieux nounours, il ne sait pas qu’il est vieux, personne
ne le lui a dit.
Quand ils étaient petits, il fallait changer leurs
chaussures, prendre chaque
année une pointure supérieure. Seuls leurs pieds ont
grandi, leur QI n’a pas suivi.
Avec le temps, il aurait plutôt eu tendance à diminuer.
Ils ont fait des progrès à
l’envers.
Quand on a eu toute sa vie des enfants qui jouent avec
des cubes et qui ont un
nounours, on reste toujours jeune. On ne sait plus très
bien où on en est.
Je ne sais plus bien qui je suis, je ne sais plus très
bien où j’en suis, je ne sais
plus mon âge. Je crois toujours avoir trente ans et je me
moque de tout. J’ai
l’impression d’être embarqué dans une grande farce, je ne
suis pas sérieux, je ne
prends rien au sérieux. Je continue à dire des bêtises et
à en écrire. Ma route se
termine en impasse, ma vie finit en cul-de-sac.
Fin