devoir2 JLFournier 1-10; prénom.......................................................résultat.....................sur 20

1)      Vad betyder titeln? Förklara titeln!

 

 

2)      Vem är Mathieu och Thomas?

 

 

3)      Varför skall de åka till Alaska?

 

4)      Vad gör Thomas i bilen?

 

 

5)      Vad kommer att hända med Mathieu längre fram i tonåren?

 

 

 

6)      Hur berättar författaren? Vem är han?

 

 

 

 

 

7)      Fick barnen Tintinalbum i julklapp? Förklara!

 

 

 

 

8)      Vilket är bokens stora tema?

 

 

9)      Nämn några positiva saker som författaren tar upp.

 

 

 

 

 

10)   Vad tycker du perosnligen så här långt om boken?

 

 

devoir Où on va papa 11-20; prénom........................................résultat...................sur 20

page 11; comment va Mathieu? Vilket yrke tycker pappan att han skulle kunna satsa på? varför?

 

 

page 12; vad har Mathieu för intressen? förklara följande mening: il n’a pas eu besoin de la télévision pour être handicapé mental

 

 

 

page 13; pappan är lite gladare, men samtidigt orolig; vad händer i familjen? förklara

 

 

 

page 14; décrivez Thomas!

 

 

 

page 15: vad får man veta av läkarna angående Thomas? hur beskriver pappan detta?

 

 

 

 

page 16; expliquez: « les enfants handicapés sont une punition du Ciel”

 

 

 

varför skall de åka till Lourdes ?

 

 

ett mirakel skulle kanske kunna ske, vilket enligt författaren?

 

 

författaren pratar mycket om nyfödda barn, vad säger han om nyfödda barn i allmänhet?

 

 

 

”att få ett handikappat barn är en gåva från himlen” förklara detta påstående

 

 

 

 

page 19; vad får Thomas i present? vem får han den av? vad händer med presenter när han blir äldre?

 

 

 

 

page 20; hur skall en pappa till handikappade barn vara enligt författaren? förklara!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

övrigt om dessa sidor eller boken?

 

 

 

Où on va papa 21 – 30; prénom..........................................................résultat........................sur 20

page 21 : pappan har varit med i en tevesändning. Vad handlar den om? När pappan senare tittar på programmet vad upptäcker han då att teveledningen gjort?

 

 

 

 

 

 

22 Thomas försöker klä på sig själv. Hur går det?

 

 

 

 

 

 

 

 

23. Det är snart jul och pappan skall köpa julklappar. Vad får han för förslag av försäljaren? Vad börjar han tänka på när han får förslaget om den lilla kemisten? Vad köper han till slut?

 

 

 

 

 

 

 

24. Hur var julen för barnen ? Trodde de på jultomten? Förklara deras jul!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

26. Vem är Josée ? Hur är hon med barnen ?  Förklara : « Mais vous avez de la paille dans la tête ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

27. Hur ser familjens fotoalbum ut ? Varför? Hur såg Mathieu ut enligt pappan?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

28. Une ventouse=en sugpropp ; försök förklara vad den här episoden handlar om på franska :

 

 

Un jour que je voyais Josée en train de déboucher un évier avec une ventouse, je lui ai dit que j’allais en acheter une seconde. Elle m’a demandé :

Pourquoi deux, monsieur ? Une, ça suffit. » Je lui ai répondu :

Vous oubliez que j’ai deux enfants, Josée. »

Elle n’a pas compris. Je lui ai alors expliqué que quand on promenait Mathieu et Thomas et qu’il fallait leur faire traverser un ruisseau, il était pratique de se servir de la ventouse. On la fixait sur la tête des enfants. Il suffisait alors de saisir le manche pour les soulever et leur permettre de passer au-dessus du ruisseau, sans se mouiller les pieds. C’était plus pratique que de les prendre dans les bras.

Elle était horrifiée.

À partir de ce jour, la ventouse a disparu. Elle a dû la cacher…


29. på sidan 29 pratar pappan om drömmar ; här kommer en ny förklaring på varför barnen är som de är dagtid ; vad säger han ?

30. En sak har pappan lyckats med ; vad ? förklara!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

où on va papa 31-42

1

p31: ça va mieux avec des lunettes? Mathieu sait lire maintenant ?

 

 

2

p32 qu’est-ce qu’il pourrait faire avec Mathieu pour gagner un peu d’argent ?

 

 

 

 

 

3

p33 le père a acheté quelque chose ; quoi ? qu’est-ce que ça change ?

 

 

 

 

 

4

p34 il imagine ses enfants avec une barbe ; il a pensé leur acheter un rasoir, pourquoi ? qu’est-ce qu’il raconte ?

 

 

 

 

 

 

 

 

5

p35 les enfants reviennent avec des blessures ; que s’imagine le père ?

 

 

 

 

 

 

 

6

p36 Thomas ne sera plus jaloux de Mathieu, pourquoi ?

 

 

 

7

p36 comment est-ce qu’il déshabille ses enfants le soir ?

 

 

 

8

p36 à quoi ressemble les enfants avant de les déshabiller ?

 

 

 

 

9

p37 de quel genre de concours parle-t-il à cette page ? qu’est-ce qu’il en pense ?

 

 

 

 

 

10

p38 le père fait une blague à Josée ; qu’est-ce qu’il dit ?

 

 

 

 

 

 

11

comment réagit Josée ? que pense-t-elle du père de Mathieu et de Thomas ?

 

 

 

 

12

p39 il parle de la musique ; qu’est-ce qu’il dit ?

 

 

 

13

p40 il traverse la forêt avec sa nouvelle voiture ; que pense-t-il du paysage ? qu’en pensent les enfants ?

 

 

 

14

p40 qu’est-ce que c’est « les fites » ?

 

 

15

p41 il a peur d’avoir un accident ?

 

 

 

 

16

qui est Marie ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

17

un pied-bot qu’est-ce que c’est ? pourquoi parle-t-on d’un pied-bot ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

où on va 43-54 ; prénom................................................résultat....................sur 20

43. Hur fungerar äktenskapet för berättaren ? Finns det tjejer han är intresserad av ? Förklara!

 

 

 

 

 

44.Fåglar ? Vad uttrycker författaren för känslor om sina barn här ? Vad tycker du? Ge några exempel från texten. Vilket verb kommer de aldrig att kunna böja i presens ?

 

 

 

 

 

45.Ger han gärna pengar till handikappade barn när man frågar honom på gatan ? Förklara!

 

 

 

 

46. Qu’est-ce que c’est Antivol ? Berätta vad du har förstått av detta kapitel.

 

 

47.Pappan skämtar med Josée. Vad handlar det om ? Vad tycker Josée om det ?

 

 

 

 

 

 

 

48. Vad hände rofta när de går i butiker tillsammans ? Hur reagerar folk? Hur är det när de går på zoo?

 

 

 

 

 

 

 

49. Qu’est-ce que c’est une marionnette ?

 

 

Le père est content parce que Mathieu lit un livre ! Expliquez !

 

 

 

 

 

50.Qu’avez-vous compris de ce chapitre ? Qu’est-ce que c’est le Hara-Kiri ? Expliquez : Cette année, le major de Polytechnique est un garçon1

 

 

 

 

 

 

51. Comment va Mathieu ? Quel est le problème ? Et le corset ? Quel âge a-t-il maintenant ?

Pourquoi le père s’imagine-t-il Mathieu avec des miroirs aux chaussures ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

52. Sidan 52 är lite speciell. Förklara vad som händer.

 

 

 

 

 

 

 

 

53.Vilket är kapitlets tema ?

 

 

54.Ils vont se rencontrer tous les trois un jour ! Où ? Qui va-t-on aussi rencontrer ? Pourquoi n’aurait-il pas peur de rouler vite ? Quel est le sentiment qu’exprime l’écrivain dans ce chapitre ? Qu’espère le père ?

 

 

 

Où va-t-on papa ? 55-66 ; prénom......................................................résultat................sur 20

55. Est-ce que Thomas souffre de la disparition de son frère ? Qu’est-ce qu’il aime bien faire ? Expliquez !

56.Le père reçoit des cartes postales. De qui ? est-il content ? Pourquoi ?

57.Qui est Pierre Desproges ?

58.À quoi compare-t-il ses enfants dans ce chapitre ? Expliquez !

59.Pourquoi n’a-t-il jamais parlé de ses enfants ? Quelle question lui faisait peur ?

60.Comment était le narrateur quand il était petit ? Qu’est-ce qu’il voulait faire ? Comment est-ce qu’il se comportait ? À qui ressemblent ses enfants ?

61. Décrivez le genre d’élève dont il parle à cette page

62. Expliquez la phrase :« la main dans le chapeau ». Que veut dire le mot « normal » selon l’écrivain ? Comment qualifie-t-il ses enfants ?

63.Si ces enfants avaient été normaux qu’aurait-il fait ? Donnez plusieurs exemples ! Vad slutar detta kapitel med ? Hur är tonen ? Förklara « on l’aurait échappée belle !

64.Qu’est-ce qu’il a fait au chat ? Qu’est-ce qu’il voulait faire aux enfants ? Pourquoi ?

65.Qu’est-ce qu’il vient d’acheter ? Où partent-ils ? Que pense Thomas de l’hôtel. Pourquoi Thomas est-il en colère envers le serveur ? De quoi a-t-il peur ? Thomas n’a pas peur ! Pourquoi cette phrase ?

66.Quelle est la seule carte que possèdent Thomas et Mathieu ? Le père s’en sert encore aujourd’hui. Pourquoi ?

Fournier 67-78

 

67. qu’est-ce que c’est un curriculum vitae ? Ses enfants auront-ils un cv ? Qu’est-ce qu’on pourrait y mettre ? Est-ce que la police pourrait attraper les enfants ? Expliquez !

 

 

 

 

 

 

 

 

68. Comment se passe la Fête des Pères dans cette famille ?

 

 

 

 

 

 

 

69. Expliquez cette lettre à la page 69

 

Cher papa,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

70.Quel est le « problème » de l’enfant dont on parle ici ?

 

 

 

 

 

71. Expliquez ce dont on parle ici : Il ne faut pas parler de génétique, c’est un mot qui porte malheur. Peut-être que « génétique », c’est le terme savant pour dire pas de chance ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

72.Pourquoi est-ce que les camarades de Marie ne la croient pas ? Qu’est-ce qu’ils disent ?

 

 

 

 

 

 

73. Quel est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un enfant ? Quel métier, le narrateur, aurait-il aimé faire ?

 

 

 

 

 

 

74.Thomas et la télé. Il aime la télé ? Quel âge a Thomas maintenant ?

 

 

 

 

 

 

75.Le pére et Thomas se ressemblent ?

 

 

Expliquez la fin :

J’espère quand même que, mises bout à bout, toutes leurs petites joies, Snoopy, un bain tiède, la caresse d’un chat, un rayon de soleil, un ballon, une promenade à Carrefour, les sourires des autres, les petites voitures, les frites… auront rendu le séjour supportable.

 

 

 

 

 

 

 

 

76.Expliquez ce chapitre à l’aide de cette image :

 

 

 

 

 

 

 

 

77.Quel âge a Thomas ? Que veut dire « tuteur » ? Expliquez son rôle ! Thomas, que pense-t-il de l’argent ? À la fin du chapitre, que dit Thomas à son père ?

 

 

 

 

 

 

 

78. Commentez : Un enfant handicapé a le droit de vote.

 

 

 

 

 

Où on va papa ; la fin du livre ; prénom..........................................résultat..................sur 20

 

76. Berätta om den vita duvan.

 

 

 

 

 

78. Le droit de vote. Thomas a le droit de voter. Qui va-t-il choisir ?

 

 

 

 

 

80. Dans ce chapitre Thomas parle avec Martine. Qui est Martine ? Expliquez ce qu’elle fait et ce qu’elle symbolise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

81. Le coup de téléphone. Thomas et son père se parlent au téléphone. Comment est la conversation ? De quoi parlent-ils ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

82. Thomas ne va pas très bien. Qu’est-ce qui se passe ? Que font-ils à l’institut pour le calmer ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

83. Le père a retrouvé des faire-part de naissance. Expliquez ce qu’il dit dans ce chapitre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

84.Pourquoi le père n’aime-t-il pas les faire-part de naissance des autres ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

85. Expliquez ce chapitre à l’aide des mots suivants : berätta om detta kapitel med hjälp av följande ord :

 

fauteuil roulant

voûté

conversation

tire la langue aux éducateurs

mouvements de danse

excentricités

bêtises

indatables

jugé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

86. Expliquez comment ça se passe à l’IMP

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

87. Il y a une manifestation sportive à l’IMP. Que fait Thomas ?

 

 

 

 

 

 

 

 

88. Que pensait le père des enfants quand il était jeune ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Expliquez cette phrase : Je n’ai pas eu de chance. J’ai joué à la loterie génétique, j’ai perdu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

89. Comment se termine le livre ? Que dit-il à cette dernière page ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quel est votre avis personnel du livre? Expliquez et justifiez vos réponses !

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50.

J’ai toujours adoré Hara-Kiri. Un moment, je voulais leur proposer une

couverture. Je voulais emprunter à mon frère, élève à Polytechnique, son grand

uniforme avec le bicorne pour le mettre à Mathieu, et le prendre en photo. J’avais

pensé à la légende : « Cette année, le major de Polytechnique est un garçon1. »

Pardon, Mathieu. Ce n’est pas de ma faute si j’avais ces idées tordues. Je

n’avais pas envie de me moquer de toi, c’est peut-être de moi que je voulais me

moquer. Prouver que j’étais capable de rire de mes misères.

1 L’année précédente, pour la première fois le major avait été une fille, Anne Chopinet.

51.

Mathieu est de plus en plus voûté. Les kinés, le corset en métal, rien n’y fait. À

quinze ans, il a la silhouette d’un vieux paysan qui a passé sa vie à bêcher la terre.

Quand on le promène, il ne voit que ses pieds, il ne peut même plus voir le ciel.

Un moment, j’ai imaginé fixer sur le bout de ses chaussures des petits miroirs,

comme des rétroviseurs qui lui refléteraient le ciel…

Sa scoliose a augmenté, elle va bientôt provoquer des ennuis respiratoires.

Une opération sur la colonne vertébrale doit être tentée.

Elle est tentée, il est totalement redressé.

Trois jours plus tard, il meurt droit.

Finalement, l’opération qui devait lui permettre de voir le ciel a réussi.

52.

Mon petit garçon est mignon, il rit toujours, il a des petits yeux noirs et brillants,

comme les rats.

J’ai souvent peur de le perdre. Il mesure deux centimètres de haut. Pourtant, il

a dix ans.

Quand il est né, on a été surpris, un peu inquiets. Le docteur nous a tout de

suite rassurés, il a dit : « Il est tout à fait normal, patientez, c’est un petit retard, il va

grandir. » On patiente, on s’impatiente, on ne le voit pas grandir.

Dix ans plus tard, l’entaille qu’on a faite dans la plinthe pour marquer sa taille

quand il avait un an est toujours valable.

Aucune école n’a accepté de le prendre sous prétexte qu’il n’est pas comme

les autres. On est obligés de le garder à la maison. On a dû engager quelqu’un à

domicile. C’est très difficile de trouver quelqu’un qui accepte. C’est beaucoup de

soucis et de responsabilités, il est si petit, on a peur de le perdre.

Surtout qu’il est très farceur, il adore se cacher et il ne répond pas quand on

l’appelle. On passe son temps a le chercher, il faut vider toutes les poches des

vêtements et chercher dans tous les tiroirs, ouvrir toutes les boîtes. La dernière fois, il

s’était caché dans une boîte d’allumettes.

Faire sa toilette est difficile, on a toujours peur qu’il se noie dans sa cuvette. Ou

qu’il file par la vidange du lavabo. Le plus dur, c’est de lui couper les ongles.

Pour connaître son poids, on doit aller à La Poste le mettre sur un pèse-lettre.

Récemment, il a eu une rage de dents. Aucun dentiste n’a voulu le soigner, j’ai

dû l’emmener chez l’horloger.

Chaque fois que des parents ou des amis le voient, ils disent : « Comme il a

grandi. » Je ne les crois pas, je sais bien qu’ils disent ça pour nous faire plaisir.

Un jour, un médecin plus courageux que les autres nous a dit qu’il ne grandirait

jamais. Le coup a été dur.

Petit à petit, on s’est habitués, on a vu les avantages.

On peut le garder sur nous, on l’a toujours sous la main, il n’est pas

encombrant, on se le met vite dans la poche, il ne paie pas dans les transports en

commun, et surtout il est affectueux, il adore nous chercher des poux dans la tête.

Un jour, on l’a perdu.

J’ai passé la nuit à soulever les feuilles mortes, une a une.

C’était l’automne.

C’était un rêve.

53.

Il ne faut pas croire que la mort d’un enfant handicapé est moins triste. C’est

aussi triste que la mort d’un enfant normal.

Elle est terrible la mort de celui qui n’a jamais été heureux, celui qui est venu

faire un petit tour sur Terre seulement pour souffrir.

De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d’un sourire.

54.

Il paraît qu’on va se retrouver un jour, tous les trois.

Est-ce qu’on va se reconnaître ? Comment vous serez ? Comment vous serez

habillés ? Je vous ai toujours connus en salopette, peut-être que vous serez en

costume trois-pièces, ou en aube blanche comme les anges ? Peut-être que vous

aurez une moustache ou une barbe, pour faire sérieux ? Est-ce que vous aurez

changé, est-ce que vous aurez grandi ?

Est-ce que vous allez me reconnaître ? Je risque d’arriver en très mauvais état.

Je n’oserai pas vous demander si vous êtes toujours handicapés… Est-ce que

ça existe les handicapés, au Ciel ? Peut-être que vous serez devenus comme les

autres ?

Est-ce qu’on va pouvoir enfin se parler d’homme à homme, se dire des choses

essentielles, des choses que je n’ai pas pu vous dire sur Terre parce que vous ne

compreniez pas le français et que moi, je ne parlais pas le lutin ?

Au Ciel, on va peut-être enfin se comprendre. Et puis, surtout, on va retrouver

votre grand-père. Celui dont je n’ai jamais pu vous parler, et que vous n’avez jamais

connu. Vous allez voir, c’était un personnage étonnant, il va certainement vous plaire

et vous faire rire.

Il va nous emmener faire des virées dans sa traction, il va vous faire boire, làhaut

on doit boire de l’hydromel.

Il va rouler vite avec sa voiture, très vite, trop vite. On n’a pas peur.

On n’a rien à craindre, on est déjà morts.

55.

On a craint un moment que Thomas souffre de la disparition de son frère. Au

début, il l’a cherché, il ouvrait les armoires, les tiroirs, mais peu de temps. Ses

activités diverses, les dessins, les soins à Snoopy ont repris le dessus. Thomas adore

dessiner et peindre. Il est plutôt tendance abstrait. Il n’a pas eu son époque figurative,

il est passé directement à l’abstrait. Il produit beaucoup, il ne retouche jamais après. Il

fait des séries qu’il intitule toujours de la même façon. Il y a les dessins « Pour papa »,

les dessins « Pour maman », et les dessins « Pour Marie ma soeur ».

Son style n’évolue pas beaucoup, il reste proche de Pollock. Sa palette est

vive. Les formats restent identiques. Emporté par son élan, il déborde souvent de son

papier, il continue son oeuvre sur la table, à même le bois.

Quand il a terminé un dessin, il le donne. Quand on lui dit que c’est beau, il a

l’air content.

56.

Je reçois parfois des cartes postales qui viennent d’un camp de vacances où

sont partis les enfants. C’est souvent un coucher de soleil orange sur la mer ou une

montagne scintillante. Derrière, il est écrit : « Mon cher papa, je suis très content, je

m’amuse bien. Je pense à toi. » C’est signé Thomas.

L’écriture est belle, régulière, il n’y a pas de fautes d’orthographe, la monitrice

s’est appliquée. Elle voulait me faire plaisir. Je comprends sa bonne intention.

Ça ne me fait pas plaisir.

Je préfère les gribouillages informes et illisibles que fait Thomas. Peut-être

qu’avec ses dessins abstraits, il me dit plus de choses.

57.

Un jour, Pierre Desproges est venu avec moi chercher Thomas dans son

établissement. Il n’avait pas beaucoup envie, j’avais insisté.

Comme tous les nouveaux venus, il a été assailli par des enfants titubant et

bavant, pas toujours très ragoûtants, qui l’ont embrassé. Lui qui supportait

difficilement ses semblables et était souvent réservé devant les manifestations

exubérantes de ses groupies, il s’est laissé faire de bonne grâce.

Cette visite l’a beaucoup remué. Il a eu envie d’y retourner. Il était fasciné par

ce monde étrange où des enfants de vingt ans couvrent de baisers leur ours en

peluche, viennent vous prendre par la main ou menacent de vous couper en deux

avec des ciseaux.

Lui qui adorait l’absurde, il avait trouvé des maîtres.

58.

Quand je pense à Mathieu et Thomas, je vois deux petits oiseaux ébouriffés.

Pas des aigles, ni des paons, des oiseaux modestes, des moineaux.

De leurs manteaux bleu marine courts sortaient des petites cannes de serin. Je

me souviens aussi, quand on les lavait, de leur peau transparente et mauve, celle des

oisillons avant que les plumes poussent, de leur bréchet proéminent, de leur torse

plein de côtes. Leur cervelle aussi était d’oiseau.

Il ne leur manquait que les ailes.

Dommage.

Ils auraient pu quitter un monde qui n’était pas fait pour eux.

Ils se seraient tirés plus vite, à tire-d’aile.

59.

Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais parlé de mes deux garçons. Pourquoi ? J’avais

honte ? Peur qu’on me plaigne ?

Tout ça un peu mélangé. Je crois surtout que c’était pour échapper à la

question terrible : « Qu’est-ce qu’ils font ? »

J’aurais pu inventer…

« Thomas est aux États-Unis, au Massachusetts Institute of Technology. Il

prépare un diplôme sur les accélérateurs de particules. Il est content, ça marche bien,

il a rencontré une jeune Américaine, elle s’appelle Marilyn, elle est belle comme un

coeur, il va certainement s’installer là-bas.

- Ce n’est pas trop dur pour vous, l’éloignement ?

- L’Amérique, ce n’est pas le bout du monde. Et puis, l’important, c’est qu’il soit

heureux. On a souvent des nouvelles, il téléphone toutes les semaines à sa mère. En

revanche, Mathieu, qui fait un stage chez un architecte à Sydney, ne donne plus de

nouvelles… »

J’aurais pu dire la vérité, aussi.

« Vous voulez vraiment savoir ce qu’ils font ? Mathieu ne fait plus rien, il n’est

plus là. Vous ne le saviez pas, ne vous excusez pas, la disparition d’un enfant

handicapé, ça passe souvent inaperçu. On parle de soulagement…

« Thomas est toujours là, il traîne dans les couloirs de son centre médicopédagogique

en serrant une vieille poupée mâchouillée, il parle à sa main en

poussant des cris étranges.

- Pourtant, il est grand maintenant, ça lui fait quel âge ?

- Non, il n’est pas grand ; vieux, peut-être, mais pas grand. Il ne sera jamais

grand. On ne devient jamais grand quand on a de la paille dans la tête. »

60.

Quand j’étais petit, je faisais des excentricités pour me faire remarquer. À six

ans, les jours de marché, je volais à l’étal du poissonnier un hareng, et mon grand jeu

était de poursuivre les filles pour frotter leurs jambes nues avec mon poisson.

Au collège, pour faire romantique et ressembler à Byron, je mettais des

lavallières au lieu de cravates, et pour faire iconoclaste j’avais mis la statue de la

Sainte Vierge dans les chiottes.

Chaque fois que j’entrais dans un magasin pour essayer un vêtement, il

suffisait qu’on me dise : « Ça plaît beaucoup, j’en ai vendu une dizaine hier » pour que

je n’achète pas. Je ne voulais pas ressembler aux autres.

Plus tard, quand j’ai commencé à travailler à la télévision, qu’on m’a confié des

petits tournages, j’essayais toujours, avec plus ou moins de bonheur, de trouver un

endroit inhabituel pour placer la caméra.

Je me souviens d’une anecdote du peintre Édouard Pignon sur lequel j’avais

fait un documentaire pour la télévision. Alors qu’il peignait des troncs d’olivier, un

enfant était passé ; après avoir regardé son tableau, il lui avait déclaré : « Ça ne

ressemble à rien, ce que tu fais. » Pignon, flatté, lui avait dit : « Tu viens de me faire le

plus beau compliment, il n’y a rien de plus difficile que de faire quelque chose qui ne

ressemble à rien. »

Mes enfants ne ressemblent à personne. Moi qui voulais toujours ne pas faire

comme les autres, je devrais être content.

61.

À chaque époque, dans chaque ville, dans chaque école, il y a toujours eu et il

y aura toujours, au fond de la classe, souvent près du radiateur, un élève au regard

vide. Chaque fois qu’il se lève, qu’il ouvre la bouche pour répondre à une question, on

sait qu’on va rire. Il répond toujours n’importe quoi, parce qu’il n’a pas compris, qu’il

ne comprendra jamais. Le prof, quelquefois sadique, insiste, pour amuser la galerie,

mettre de l’ambiance et remonter son audimat.

L’enfant au regard vide, debout au milieu des élèves déchaînés, n’a pas envie

de faire rire, il ne le fait pas exprès, au contraire. Il aimerait bien ne pas faire rire, il

aimerait bien comprendre, il s’applique, mais malgré ses efforts il dit des bêtises,

parce qu’il est non comprenant.

Quand j’étais gosse, j’étais le premier à en rire, maintenant, j’ai une grande

compassion pour cet écolier au regard vide. Je pense à mes enfants.

Heureusement, on ne pourra même pas se moquer d’eux à l’école. Ils n’iront

jamais à l’école.

62.

Je n’aime pas le mot « handicapé ». C’est un mot anglais, ça voudrait dire « la

main dans le chapeau ».

Je n’aime pas non plus le mot « anormal », surtout quand il est collé à

« enfant ».

Qu’est-ce que ça veut dire, normal ? Comme il faut être, comme on devrait

être, c’est-à-dire dans la moyenne, moyen. Je n’aime pas trop ce qui est dans la

moyenne, je préfère ceux qui ne sont pas dans la moyenne, ceux au-dessus, et

pourquoi pas ceux au-dessous, en tout cas pas comme tout le monde. Je préfère

l’expression « pas comme les autres ». Parce que je n’aime pas toujours les autres.

Ne pas être comme les autres, ça ne veut pas dire forcément être moins bien

que les autres, ça veut dire être différent des autres.

Qu’est-ce que ça veut dire, un oiseau pas comme les autres ? Aussi bien un

oiseau qui a le vertige qu’un oiseau capable de siffler sans partition toutes les sonates

pour flûte de Mozart.

Une vache pas comme les autres, ça peut être une vache qui sait téléphoner.

Quand je parle de mes enfants, je dis qu’ils ne sont « pas comme les autres ».

Ça laisse planer un doute.

Einstein, Mozart, Michel-Ange n’étaient pas comme les autres.

63.

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais conduits au musée. On aurait

regardé ensemble les tableaux de Rembrandt, Monet, Turner et encore Rembrandt…

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais offert des disques de musique

classique, on aurait écouté ensemble d’abord Mozart, puis Beethoven puis Bach et

encore Mozart.

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais offert plein de livres de Prévert,

Marcel Aymé, Queneau, Ionesco et encore Prévert.

Si vous étiez comme les autres je vous aurais emmenés au cinéma, on aurait

vu ensemble les vieux films de Chaplin, Eisenstein, Hitchcock, Buñuel et encore

Chaplin.

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais emmenés dans les grands

restaurants, je vous aurais fait boire du chambolle-musigny et encore du chambollemusigny.

Si vous étiez comme les autres, on aurait fait ensemble des matchs de tennis,

de basket et de volley-ball.

Si vous étiez comme les autres, on serait montés ensemble dans les clochers

des cathédrales gothiques, pour avoir un point de vue d’oiseau.

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais offert des fringues à la mode,

pour que vous soyez les plus beaux.

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais conduits au bal avec vos

fiancées dans ma vieille voiture décapotable.

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais donné en douce des petits

biffetons pour faire des cadeaux à vos fiancées.

Si vous étiez comme les autres, on aurait fait une grande fête pour votre

mariage.

Si vous étiez comme les autres, j’aurais eu des petits-enfants.

Si vous étiez comme les autres, j’aurais peut-être eu moins peur de l’avenir.

Mais si vous aviez été comme les autres, vous auriez été comme tout le

monde.

Peut-être que vous n’auriez rien foutu en classe.

Vous seriez devenus délinquants.

Vous auriez bricolé le pot d’échappement de votre scooter pour faire plus de

bruit.

Vous auriez été chômeurs.

Vous auriez aimé Jean-Michel Jarre.

Vous vous seriez mariés avec une conne.

Vous auriez divorcé.

Et peut-être que vous auriez eu des enfants handicapés.

On l’a échappé belle.

64.

J’ai fait castrer mon chat, sans le prévenir, sans lui demander la permission.

Sans lui expliquer les avantages et les inconvénients. Je lui ai simplement dit qu’on

allait lui retirer les amygdales. J’ai l’impression que depuis, il me fait la gueule. Je

n’ose plus le regarder dans les yeux. J’ai des remords.

Je pense à une époque où on voulait castrer les enfants handicapés. Que la

bonne société se rassure, mes enfants ne vont pas se reproduire. Je n’aurai pas de

petits-enfants, je n’irai pas me promener avec une petite main qui gigotera dans ma

vieille main, personne ne me demandera où le soleil s’en va quand il se couche,

personne ne m’appellera grand-père, sauf les jeunes cons en voiture derrière moi

parce que je ne roule pas assez vite. La lignée va s’arrêter, on va en rester là. Et c’est

mieux comme ça.

Les parents ne doivent faire que des enfants normaux, ils auront tous le

premier prix ex æquo au concours du plus beau bébé et, plus tard, le premier prix au

concours général. L’enfant anormal doit être interdit.

Pour mes petits oiseaux, le problème ne se pose pas, on n’a pas à s’inquiéter.

Ils ne feront pas beaucoup de dégâts avec leur petit zizi minuscule comme un

bigorneau.

65.

Je viens d’acheter d’occasion une Camaro, une voiture américaine. Elle est vert

foncé, l’intérieur est en simili blanc, un peu m’as-tu-vu.

Nous partons en vacances au Portugal.

Nous emmenons Thomas avec nous, il va voir la mer. Nous sommes passés le

prendre à La Source, son institut médico-pédagogique près de Tours.

La Camaro glisse sur la route, silencieuse.

Après une nuit passée en Espagne, nous arrivons à Sagres, le but du voyage.

L’hôtel est blanc, le ciel bleu et la lumière sur la mer intense, presque l’Afrique.

Quel bonheur d’être enfin arrivés. Nous faisons descendre Thomas, il est ravi, il

regarde l’hôtel, il s’écrie : « La Source, La Source ! » en tapant dans ses mains. Il se

croit retourné à son IMP. Peut-être qu’il est ébloui par le soleil, ou c’est un gag, il dit

ça pour nous faire rire.

L’hôtel est un peu chichiteux, le personnel est en uniforme bordeaux avec des

boutons dorés. Les serveurs portent tous un badge avec leur nom, le nôtre s’appelle

Victor Hugo. Thomas veut embrasser tout le monde.

Thomas est servi comme un petit prince. Ce qu’il n’aime pas, c’est que le

maître d’hôtel, avant de servir, retire les assiettes de présentation qui sont sur la table.

Il se met en colère, s’accroche à son assiette, il ne veut pas qu’on la lui prenne, il

crie : « Non, monsieur ! Pas l’assiette ! Pas l’assiette ! » Il doit croire que si on lui

prend son assiette, il n’aura rien à manger.

Thomas a peur de l’océan, du bruit de ses grosses vagues. J’essaie de

l’habituer. Je marche dans la mer en le portant dans mes bras, il s’accroche à moi,

terrorisé. Je n’oublierai jamais son expression terrifiée. Un jour, il a trouvé une astuce

pour arrêter son supplice et qu’on sorte de l’eau, il a pris un air tragique et, très fort,

pour qu’on l’entende malgré le fracas des vagues, il a crié : « Caca ! » Croyant à une

urgence, je l’ai sorti de l’eau.

J’ai vite compris que ce n’était pas vrai. J’étais tout ému. Thomas n’est pas

idiot, il y a quand même quelques étincelles dans son petit cerveau d’oiseau.

Il est capable de mentir.

66.

Mathieu et Thomas n’auront jamais de Carte bleue ni de carte de parking dans

leur portefeuille. Ils n’auront jamais de portefeuille, leur seule carte, ce sera une carte

d’invalidité.

Elle est de couleur orange, pour faire gai. Elle porte la mention « Station debout

pénible », en caractères verts.

Elle a été délivrée par le commissaire de la République de Paris.

Leur taux d’incapacité, en pourcentage, est de 80 %.

Le commissaire de la République, qui ne se fait aucune illusion sur leur

évolution, la leur a délivrée « à titre définitif ».

Sur la carte, il y a leur photo. Leur étrange tête, leur regard vague… À quoi

pensent-ils ?

Elle me sert encore aujourd’hui. Je la mets parfois sur mon pare-brise quand je

suis mal garé. Grâce à eux, j’évite une contravention.

67.

Mes enfants n’auront jamais un curriculum vitae. Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Rien.

Ça tombe bien, on ne leur demandera jamais rien.

Qu’est-ce qu’on pourrait mettre sur leur curriculum vitae ? Enfance anormale,

puis placement définitif en institut médico-pédagogique, d’abord La Source, puis Le

Cèdre, que des jolis noms.

Mes enfants n’auront jamais un casier judiciaire. Ils sont innocents. Ils n’ont rien

fait de mal, ils ne sauraient pas.

Quelquefois, l’hiver, quand je les vois avec leur cagoule, je les imagine en

braqueurs de banque. Ils ne seraient pas bien dangereux avec leurs gestes incertains

et leurs mains qui tremblent.

La police pourrait les attraper facilement, ils ne se sauveraient pas, ils ne

savent pas courir.

Je ne comprendrai jamais pourquoi ils ont été punis si lourdement. C’est

profondément injuste, ils n’ont rien fait.

Ça ressemble à une terrible erreur judiciaire.

68.

Dans un sketch inoubliable, Pierre Desproges se venge de ses jeunes enfants

et des horreurs qu’ils lui offrent pour la fête des Mères et des Pères.

Moi, je n’ai pas eu à me venger. Je n’ai jamais rien eu. Pas de cadeau, pas de

compliment, rien.

Ce jour-là, pourtant, j’aurais donné cher pour un pot de yaourt que Mathieu

aurait transformé en vide-poches. Il l’aurait habillé avec de la feutrine mauve et il

aurait collé dessus des étoiles qu’il aurait découpées lui-même dans du papier doré.

Ce jour-là, j’aurais donné cher pour avoir un compliment mal écrit par Thomas,

où il aurait réussi à tracer, avec beaucoup de difficulté : « Je tème bocou. »

Ce jour-là, j’aurais donné cher pour un cendrier biscornu comme un

topinambour, que Mathieu aurait fait avec de la pâte à modeler et sur lequel il aurait

gravé « Papa ».

Comme ils ne sont pas comme les autres, ils auraient pu me faire des cadeaux

pas comme les autres. Ce jour-là, j’aurais donné cher pour un caillou, une feuille

séchée, une mouche verte, un marron, une bête à bon Dieu…

Comme ils ne sont pas comme les autres, ils auraient pu me faire des dessins

pas comme les autres. Ce jour-là, j’aurais donné cher pour des animaux tordus

comme des chameaux rigolos à la Dubuffet et des chevaux à la Picasso.

Ils n’ont rien fait.

Pas par mauvaise volonté, pas parce qu’ils n’ont pas voulu, je pense qu’ils

auraient bien voulu, ils n’ont pas pu. À cause de leurs mains qui tremblent, de leurs

yeux qui ne voient pas bien clair et de la paille qu’il y a dans leur tête.

69.

Cher papa,

À l’occasion de la fête des Pères, on voulait t’écrire une lettre. La voici.

On ne te félicite pas pour ce que tu as fait : regarde-nous. C’était si difficile de

faire des enfants comme tout le monde ? Quand on sait le nombre d’enfants normaux

qui naissent tous les jours et qu’on voit la tête de certains parents, on se dit que ça ne

doit pas être bien sorcier.

On ne te demandait pas de faire des petits génies, seulement des normaux.

Une fois encore, tu n’as pas voulu faire comme les autres, tu as gagné, et nous on a

perdu. Tu crois que c’est marrant d’être handicapé ? On a quelques avantages. On a

échappé à l’école, pas de devoirs, pas de leçons, pas d’examens, pas de punitions.

En revanche, pas de récompenses, on a loupé pas mal de choses.

Peut-être que Mathieu aurait aimé faire du football. Tu le vois sur un terrain,

tout fragile au milieu d’une bande de grosses brutes ? Il n’en serait pas sorti vivant.

Moi, j’aurais bien aimé être chercheur en biologie. Impossible avec la paille que

j’ai dans la tête.

Tu crois que c’est marrant de passer sa vie avec des handicapés ? Il y en a des

pas faciles, qui crient tout le temps et nous empêchent de dormir, et des méchants qui

mordent.

Comme on n’est pas rancuniers et qu’on t’aime bien quand même, on te

souhaite une bonne fête des Pères.

Tu trouveras derrière la lettre un dessin que j’ai fait pour toi. Mathieu, qui ne

sait pas dessiner, t’embrasse.

70.

L’enfant pas comme les autres n’est pas une spécialité nationale, il existe en

plusieurs versions.

Dans l’IMP où sont placés Thomas et Mathieu, il y a un enfant cambodgien.

Ses parents ne parlent pas très bien le français, les entretiens avec le médecin chef

de l’établissement sont difficiles, parfois épiques. Ils en sortent souvent dépités. Ils

contestent toujours avec force le diagnostic du médecin.

Leur fils n’est pas mongolien, il est cambodgien.

71.

Il ne faut pas parler de génétique, c’est un mot qui porte malheur.

Ce n’est pas moi qui pense à la génétique, c’est la génétique qui a pensé à

moi.

Je regarde mes deux petits gamins cabossés, j’espère que ce n’est pas de ma

faute s’ils ne sont pas comme les autres.

S’ils ne savent pas parler, s’ils ne savent pas écrire, s’ils ne savent pas compter

jusqu’à 100, s’ils ne savent pas rouler à vélo, s’ils ne savent pas nager, s’ils ne savent

pas jouer de piano, s’ils ne savent pas lacer leurs bottines, s’ils ne savent pas manger

des bigorneaux, s’ils ne savent pas se servir d’un ordinateur, ce n’est quand même

pas parce que je les ai mal élevés, ce n’est pas à cause de leur environnement…

Regardez-les. S’ils boitent, s’ils sont bossus, ce n’est pas de ma faute. C’est la

faute à pas de chance.

Peut-être que « génétique », c’est le terme savant pour dire pas de chance ?

72.

Ma fille Marie a raconté à ses camarades d’école qu’elle avait deux frères

handicapés. Elles n’ont pas voulu la croire. Elles lui ont dit que ce n’était pas vrai,

qu’elle se vantait.

73.

On entend certaines mères, devant le berceau de leur enfant, dire : « On ne

voudrait pas qu’il grandisse, on voudrait qu’il reste toujours comme ça. » Les mères

d’enfants handicapés ont beaucoup de chance, elles joueront à la poupée plus

longtemps.

Mais un jour, la poupée pèsera trente kilos et elle ne sera pas toujours docile.

Les pères s’intéressent aux enfants quand ils sont plus grands, quand ils sont

curieux, quand ils commencent à poser des questions.

J’ai attendu vainement ce moment-là. Il n’y a jamais eu qu’une seule question :

« Où on va, papa ? »

Le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un enfant, c’est de répondre à sa

curiosité, lui donner le goût des belles choses. Avec Mathieu et Thomas, je n’ai pas eu

cette chance.

J’aurais bien aimé être instituteur, apprendre des choses aux enfants sans les

ennuyer.

J’ai fait pour les enfants des dessins animés que les miens n’ont pas vus, des

livres qu’ils n’ont pas lus.

J’aurais aimé qu’ils soient fiers de moi. Qu’ils disent à leurs camarades : « Mon

père, il est mieux que le tien. »

Si les enfants ont besoin d’être fiers de leur père, peut-être que les pères, pour

se rassurer, ont besoin de l’admiration de leurs enfants.

74.

À l’époque où il y avait une mire entre les programmes de la télévision, Mathieu

et Thomas étaient capables de rester des heures devant l’écran à la regarder.

Thomas aime bien la télévision, surtout depuis le jour où il m’a vu dans le poste. Lui

qui ne voit pas bien, il a réussi, sur un petit écran, à me distinguer au milieu d’autres

personnes. Il m’a reconnu, il a crié : « Papa ! »

Après l’émission, il n’a pas voulu aller dîner, il voulait rester devant le poste, il

criait : « Papa, Papa ! » Il pensait que j’allais revenir.

Je me trompe peut-être quand je pense que je ne compte pas beaucoup pour

lui et qu’il peut très bien vivre sans moi. Ça me touche, en même temps ça me

culpabilise. Je me vois mal vivre avec lui, aller tous les jours à Carrefour voir les

Snoopies.

Thomas va bientôt avoir quatorze ans. À son âge, je passais mon BEPC.

75.

Je regarde Thomas. J’ai de la peine à me reconnaître en lui, on ne se

ressemble pas. C’est peut-être mieux. Je ne dirais pas pour lequel des deux. Qu’estce

qui m’a pris de vouloir me reproduire ?

De l’orgueil ? J’étais tellement fier de moi que je voulais laisser sur la Terre des

petits « moi » ?

Je ne voulais pas mourir entièrement, je voulais laisser des traces, pour qu’on

puisse me suivre, à la trace ?

J’ai parfois l’impression d’avoir laissé des traces, mais de celles qu’on laisse

après avoir marché sur un parquet ciré avec des chaussures pleines de terre et qu’on

se fait engueuler.

Quand je regarde Thomas, quand je pense à Mathieu, je me demande si j’ai

bien fait de les faire.

Faudrait le leur demander.

J’espère quand même que, mises bout à bout, toutes leurs petites joies,

Snoopy, un bain tiède, la caresse d’un chat, un rayon de soleil, un ballon, une

promenade à Carrefour, les sourires des autres, les petites voitures, les frites… auront

rendu le séjour supportable.

76.

Je me souviens d’une colombe blanche. Elle était à l’atelier de l’IMP où les

enfants faisaient des travaux manuels, c’est-à-dire que certains barbouillaient de

peinture des feuilles de papier. Les autres étaient prostrés ou riaient aux anges.

Quand la colombe blanche vole dans la pièce, certains enfants émerveillés

battent des mains. Elle laisse parfois tomber une petite plume qui descend en

zigzaguant et qu’un enfant suit du regard. Il y a dans l’atelier une sorte de paix, peutêtre

à cause de la colombe. Il arrive qu’elle se pose sur la table, ou mieux sur l’épaule

d’un enfant. On pense à Picasso, à L’Enfant à la colombe. Certains en ont peur et

hurlent de terreur, mais la colombe est de bonne composition. Thomas la poursuit en

l’appelant « tite poule », il voudrait l’attraper, peut-être pour la plumer ?

Le monde des animaux et des hommes a rarement été en telle harmonie. Entre

cervelles d’oiseaux, le courant passe. Saint François d’Assise n’est pas loin, et Giotto,

avec ses tableaux pleins d’oiseaux.

Les innocents ont les mains pleines. De peinture.

77.

Thomas a dix-huit ans, il a grandi, il a de la peine à se tenir debout, le corset ne

suffit plus, il a besoin d’un tuteur. J’ai été choisi.

Un tuteur doit avoir les pieds profondément enfoncés dans la terre, il doit être

solide, stable, capable de résister au vent, il doit rester droit au milieu des tempêtes.

Drôle d’idée de m’avoir choisi.

C’est moi maintenant qui ai la gestion de son argent, je dois signer les

chèques. Thomas, il s’en fout de l’argent, il ne sait pas bien ce que c’est. Je me

souviens d’un jour, au Portugal, dans un restaurant, il avait sorti de mon portefeuille

tous les billets et les avait distribués à tout le monde. Je suis sûr que si je demandais

à Thomas son avis, s’il pouvait me le donner, il me dirait : « Vas-y, papa, profites-en,

on va s’amuser, on va aller claquer ensemble mes allocations d’invalidité. »

Il n’est pas radin. Avec son argent, on s’achètera un beau cabriolet. On partira

comme deux vieux amis en goguette, faire la fête. Comme dans les films, on

descendra sur la Côte, on ira dans les beaux hôtels avec plein de lustres, on dînera

dans les grands restaurants, on boira du Champagne, on se racontera plein

d’histoires, on parlera de voitures, de bouquins, de musique, de cinéma et de filles…

On se promènera la nuit au bord de la mer, sur des grandes plages désertes.

On regardera les poissons phosphorescents laisser des traînées lumineuses dans

l’eau noire. On philosophera sur la vie, sur la mort, sur Dieu. On regardera les étoiles

et les lumières tremblantes de la côte. Parce qu’on n’aura pas les mêmes avis sur

tout, on s’engueulera. Il me traitera de vieux con, moi je lui dirai : « Un peu de respect,

s’il te plaît, je suis ton père », et il me répondra : « Tu n’as pas de quoi être fier. »

78.

Un enfant handicapé a le droit de vote.

Thomas est majeur, il va pouvoir voter. Je suis sûr qu’il a beaucoup réfléchi,

pesé le pour et le contre, analysé méticuleusement les programmes des deux

candidats, leur fiabilité économique, il a fait l’inventaire des états-majors de chaque

parti.

Il hésite encore, il n’arrive pas à choisir.

Snoopy ou Minou ?

79.

Après un silence, il a dit soudainement : « Et tes garçons ? »

Il ne doit même pas savoir qu’il y en a un qui n’est plus là depuis plusieurs

années.

Sans doute que la conversation languissait, qu’il craignait qu’à nouveau un

ange passe. Le repas était terminé, tout le monde avait parlé de son actualité, il fallait

réactiver l’ambiance. Le maître de maison ajouta, avec l’air de celui qui en a une bien

bonne à vous raconter : « Saviez-vous que Jean-Louis a deux enfants handicapés ? »

L’information fut suivie d’un grand silence, puis d’une étrange rumeur faite de

compassion, d’étonnement et de curiosité venant de ceux qui ne savaient pas. Une

femme charmante se mit à me regarder avec le sourire triste et humide qu’on voit aux

femmes du peintre Greuze.

Oui, mon actualité à moi, ce sont mes enfants handicapés, mais je n’ai pas

toujours envie d’en parler.

Ce que le maître de maison attend de moi, c’est de faire rire. Exercice périlleux,

mais j’ai fait de mon mieux.

Je leur ai raconté le dernier Noël à l’IMP où étaient placés mes enfants. Le

sapin que les enfants ont fait tomber, la chorale où chacun chantait une chanson

différente, le sapin qui ensuite a pris feu, l’appareil de cinéma qui est tombé pendant

la projection, le gâteau à la crème qu’on a renversé et les parents à quatre pattes

sous les tables pour éviter les boules de pétanque qu’un père imprudent avait offertes

à son fils qui les jetait en l’air, tout ça sur fond de « Il est né le divin enfant »…

Au début, ils étaient un peu gênés, ils n’osaient pas rire. Puis, petit à petit, ils

ont osé. J’ai fait un beau succès. Le maître de maison était content.

Je crois que je serai réinvité.

80.

Thomas parle à sa main, il l’appelle Martine. Il a avec Martine de longues

conversations, elle doit lui répondre, mais il est le seul à l’entendre.

Il prend une petite voix pour lui dire des choses gentilles. Quelquefois le ton

monte entre eux, il n’a pas l’air content du tout, Martine a dû dire quelque chose qui

ne lui a pas plu, il prend alors une grosse voix et il l’engueule.

Peut-être qu’il lui reproche de ne pas savoir faire grand-chose ?

Il faut reconnaître que Martine n’est pas très habile et qu’elle ne l’aide pas

beaucoup dans la vie quotidienne pour s’habiller, pour manger. Elle n’est pas précise,

elle renverse quand il boit, elle tâtonne, elle ne sait pas boutonner sa chemise, elle ne

sait pas lacer ses souliers, souvent elle tremble…

Elle ne sait même pas caresser correctement le chat, ses caresses

ressemblent à des coups et le chat, qui a peur, se sauve.

Elle ne sait pas jouer du piano, elle ne sait pas conduire une voiture, elle ne sait

même pas écrire, elle est tout juste bonne à faire des dessins abstraits. Peut-être

alors que Martine lui répond que ce n’est pas de sa faute, qu’elle attend les ordres. Ce

n’est pas à elle de prendre les initiatives, c’est à lui.

Elle n’est qu’une main.

81.

« Allô, bonjour Thomas, c’est papa à l’appareil. »

Un grand silence.

J’entends une respiration difficile très forte, puis la voix de la monitrice :

« Tu entends, Thomas ? C’est papa.

- Bonjour Thomas, tu me reconnais ? C’est papa, tu vas bien, Thomas ? »

Silence. Seulement la respiration difficile… Enfin, Thomas se met à parler.

Depuis qu’il a mué, il a une grosse voix.

« Où on va, papa ? »

Il m’a reconnu. On peut continuer la conversation.

« Comment tu vas, Thomas ?

- Où on va, papa ?

- Tu as fait des beaux dessins, pour papa, pour maman, pour Marie ta soeur ? »

Silence. Seulement la respiration difficile.

« On va à la maison ?

- Tu fais des beaux dessins ?

- Martine.

- Elle va bien, Martine ?

- Des fites des fites des fites !

- Tu as mangé des frites, c’était bon ?… Tu veux manger des frites ? »

Silence…

« Tu fais un baiser à papa ? Tu dis au revoir à papa ? Tu fais un baiser ? »

Silence.

J’entends le combiné qui se balance dans le vide, des voix au loin. À nouveau

la monitrice à l’appareil, elle me signale que Thomas a lâché le combiné, il est parti.

Je raccroche.

On s’était dit l’essentiel.

82.

Thomas ne va pas très bien. Il est nerveux malgré les calmants. Il a parfois des

crises où il est très violent. Il faut quelquefois le faire interner à l’hôpital

psychiatrique…

Nous allons le voir la semaine prochaine, déjeuner avec lui. Comme c’est

bientôt Noël, j’ai proposé à l’éducatrice de lui apporter un cadeau, mais lequel ?

Elle m’a dit qu’ils écoutaient de la musique toute la journée. Toutes sortes de

musiques, même de la classique. Un pensionnaire qui a des parents musiciens

écoute du Mozart et du Berlioz. J’ai pensé aux Variations Goldberg, une partition

écrite par J.-S. Bach pour calmer le comte de Keyserling qui était un monsieur très

nerveux. À l’IMP, il y a certainement beaucoup de comtes de Keyserling qui ont

besoin d’être calmés, J.-S. Bach ne peut que leur faire du bien. Je leur ai apporté le

disque. L’éducatrice va tenter l’expérience.

Si un jour Bach pouvait remplacer Prozac…

83.

Trente ans plus tard, j’ai retrouvé au fond d’un tiroir les faire-part de naissance

de Thomas et de Mathieu. C’étaient des faire-part classiques, nous aimions la

simplicité, ni fleurs ni cigognes.

Le papier a jauni, mais on arrive très bien à lire, écrit en anglaises, que nous

avons la joie de vous annoncer la naissance de Mathieu, puis de Thomas.

Bien sûr que ce fut une joie, un moment rare, une expérience unique, une

émotion intense, un bonheur indicible…

La déception fut à la hauteur.

Nous avons la douleur de vous apprendre que Mathieu et Thomas sont

handicapés, qu’ils ont de la paille dans la tête, qu’ils ne feront jamais d’études, qu’ils

feront des bêtises toute leur vie, que Mathieu sera très malheureux et qu’il nous

quittera rapidement. Le fragile Thomas restera plus longtemps, toujours plus voûté…

Il parle toujours à sa main, il se déplace difficilement, il ne dessine plus, il est moins

gai qu’avant, il ne demande plus où on va, papa.

Peut-être qu’il est bien là où il est.

Ou alors, il n’a plus envie d’aller nulle part…

84.

Chaque fois que je reçois un faire-part de naissance, je n’ai pas envie de

répondre, ni de féliciter les heureux gagnants.

Bien sûr que je suis jaloux. Je suis surtout agacé après. Quand, quelques

années plus tard, les parents béats et tout confits d’admiration me montrent les photos

de leur adorable enfant. Ils citent ses derniers bons mots et parlent de ses

performances. Je les trouve arrogants et vulgaires. Comme celui qui parlerait des

performances de sa Porsche au propriétaire d’une vieille 2 CV.

« À quatre ans, il sait déjà lire et compter… »

On ne m’épargne pas, on me montre les photos de l’anniversaire, le petit chéri

qui souffle les quatre bougies après les avoir comptées, le père qui filme avec le

caméscope. J’ai alors des vilaines pensées dans la tête, je vois les bougies qui

mettent le feu à la nappe, au rideau, à toute la maison.

Certainement que vos enfants sont les plus beaux du monde, les plus

intelligents. Les miens, les plus moches et les plus bêtes. C’est de ma faute, je les ai

loupés.

À quinze ans, Thomas et Mathieu ne savaient ni lire, ni écrire, et à peine parler.

85.

Il y avait longtemps que je n’étais pas allé voir Thomas. Je suis allé le voir hier.

Il est de plus en plus souvent dans un fauteuil roulant. Il se déplace difficilement. Il m’a

reconnu au bout d’un moment, il a demandé : « Où on va, papa ? »

Il est de plus en plus voûté. Il a voulu aller se promener dehors. Notre

conversation est sommaire et répétitive. Il parle moins qu’avant, il parle toujours à sa

main.

Il nous a emmenés dans sa chambre. Elle est claire et peinte en jaune, Snoopy

est toujours sur le lit. Sur le mur, il y a une oeuvre abstraite de ses débuts, sorte

d’araignée emmêlée dans sa toile.

Il a changé de pavillon, il est dans une petite unité de douze pensionnaires, des

adultes qui ressemblent à des vieux enfants. Ils n’ont pas d’âge, ils sont indatables. Ils

ont dû naître un 30 février…

Le plus âgé fume la pipe et il tire la langue aux éducateurs. Il y a un aveugle qui

se promène dans les couloirs en suivant à tâtons les murs. Certains nous disent

bonjour, la majorité nous ignore. Quelquefois, on entend un cri, puis le silence, seul le

bruit des pantoufles de l’aveugle.

On doit enjamber quelques pensionnaires allongés par terre, au milieu de la

pièce, les yeux au ciel ; ils rêvent, parfois ils rient aux anges.

Ce n’est pas triste, c’est étrange, parfois beau. Les gestes lents de certains qui

brassent l’air s’apparentent à une chorégraphie, à des mouvements de danse

moderne ou de théâtre Kabuki. Un autre, qui fait avec ses bras des contorsions

devant son visage, fait penser aux autoportraits d’Egon Schiele.

À une table, sont assis deux malvoyants qui se caressent les mains. À une

autre, un pensionnaire, le crâne dégarni, les cheveux gris ; on l’imaginerait en

costume trois-pièces gris, il a l’air d’un notaire, sauf qu’il a un bavoir et répète sans

arrêt : « Caca, caca, caca… »

Tout est permis, toutes les excentricités, toutes les folies, on n’est pas jugé.

Ici, quand on est sérieux et qu’on se comporte normalement, on est presque

gêné, on a le sentiment de ne pas être comme les autres et d’être un peu ridicule.

Quand je vais là-bas, j’ai envie de faire comme eux, des bêtises.

86.

À l’IMP, tout est difficile, quelquefois impossible. S’habiller, lacer ses

chaussures, fermer une ceinture, ouvrir une fermeture Éclair, tenir une fourchette.

Je regarde un vieil enfant de vingt ans. Son éducateur essaye de lui faire

manger tout seul des petits pois. Je me rends compte de la performance que

représentent les moindres gestes de sa vie quotidienne.

Il y a quelquefois des petites victoires qui valent une médaille d’or aux Jeux

olympiques. Il vient d’attraper plusieurs petits pois avec la fourchette et les a portés à

la bouche sans faire tout tomber. Il est très fier, il nous regarde, rayonnant. On jouerait

bien l’hymne national en son honneur et en l’honneur de son entraîneur.

87.

La semaine prochaine a lieu à l’institut médico-pédagogique une grande

manifestation sportive, les XIIIe jeux intercentres, destinés aux pensionnaires les

moins atteints. Il y a plusieurs disciplines : boules sur cible, parcours tricycle, basket,

lancer de précision, parcours moteur et tirs au but. Je ne peux pas m’empêcher de

penser au dessin de Reiser représentant les Jeux olympiques pour handicapés. Le

stade est couvert de grands calicots avec, inscrit dessus : « Interdit de rire. »

Évidemment, Thomas ne participe pas. Il va être spectateur. On va le sortir et

installer son fauteuil devant le terrain de sport pour regarder le spectacle. Ça

m’étonnerait que ça l’intéresse, il est de plus en plus enfermé dans son monde

intérieur. À quoi pense-t-il ?

Est-ce qu’il sait ce qu’il a représenté pour moi, il y a plus de trente ans, le

lumineux petit angelot blond qui riait toujours ? Maintenant il ressemble à une

gargouille, il bave et il ne rit plus.

À l’issue de la manifestation, il y a le classement avec la remise des médailles

et des coupes.

J’aurais bien aimé avoir des enfants dont je sois fier. Pouvoir montrer à mes

amis vos diplômes, vos prix et toutes les coupes que vous auriez gagnées sur les

stades. On les aurait exposées dans une vitrine dans le salon avec des photos où on

nous aurait vus ensemble.

J’aurais, sur la photo, la mine béate et satisfaite du pêcheur qui s’est fait

photographier avec le poisson énorme qu’il vient d’attraper.

88.

Quand j’étais jeune, je souhaitais avoir plus tard une ribambelle d’enfants. Je

me voyais gravir des montagnes en chantant, traverser des océans avec des petits

matelots qui me ressembleraient, parcourir le monde suivi par une joyeuse tribu

d’enfants curieux au regard vif, à qui j’apprendrais plein de choses, le nom des arbres,

des oiseaux et des étoiles.

Des enfants à qui j’apprendrais à jouer au basket et au volley-ball, avec qui je

ferais des matchs que je ne gagnerais pas toujours.

Des enfants à qui je montrerais des tableaux et ferais écouter de la musique.

Des enfants à qui j’apprendrais en secret des gros mots.

Des enfants à qui j’enseignerais la conjugaison du verbe péter.

Des enfants à qui j’expliquerais le fonctionnement du moteur à explosion.

Des enfants pour qui j’inventerais des histoires rigolotes.

Je n’ai pas eu de chance. J’ai joué à la loterie génétique, j’ai perdu.

89.

« Ils ont quel âge, maintenant, vos enfants ? »

Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre.

Mes enfants sont indatables. Mathieu est hors d’âge et Thomas doit avoir dans

les cent ans.

Ce sont deux petits vieillards voûtés. Ils n’ont plus toute leur tête, mais ils sont

toujours gentils et affectueux.

Mes enfants n’ont jamais connu leur âge. Thomas continue à mâchouiller un

vieux nounours, il ne sait pas qu’il est vieux, personne ne le lui a dit.

Quand ils étaient petits, il fallait changer leurs chaussures, prendre chaque

année une pointure supérieure. Seuls leurs pieds ont grandi, leur QI n’a pas suivi.

Avec le temps, il aurait plutôt eu tendance à diminuer. Ils ont fait des progrès à

l’envers.

Quand on a eu toute sa vie des enfants qui jouent avec des cubes et qui ont un

nounours, on reste toujours jeune. On ne sait plus très bien où on en est.

Je ne sais plus bien qui je suis, je ne sais plus très bien où j’en suis, je ne sais

plus mon âge. Je crois toujours avoir trente ans et je me moque de tout. J’ai

l’impression d’être embarqué dans une grande farce, je ne suis pas sérieux, je ne

prends rien au sérieux. Je continue à dire des bêtises et à en écrire. Ma route se

termine en impasse, ma vie finit en cul-de-sac.

Fin