la silhouette
Jeanne Desto
se penche sur l’origine d’un mot très fréquent dans nos deux langues, mais
voyez plutôt :
Il s’agit d’un mot de la langue de tous les jours.
Regardez : cette femme n’a-t-elle pas une silhouette élégante ?
Les Allemands utilisent le même mot : « die Silhouette ». À
l’origine, le mot « silhouette » désigne le contour de l’ombre
projetée du visage ou du corps d’une personne. On projetait l’ombre à l’aide
d’une bougie puis on découpait le profil aux ciseaux. Les Allemands appellent
d’ailleurs également ces silhouettes « Scherenschnitt », découpe aux
ciseaux.
Bon, mais savez-vous que ce mot silhouette vient
du nom d’un homme, monsieur Étienne de Silhouette ? Étienne de Silhouette
est nommé en mars 1759 contrôleur général des finances de Louis XV. Mais cet
homme n’a pas le sens commun : à peine nommé, ne voilà-t-il pas qu’il veut
remettre de l’ordre dans les finances royales en instaurant de nouvelles taxes
à l’encontre des riches et en supprimant certains privilèges, tels les
exemptions fiscales et autres pensions royales ! Et ce 20 ans avant la
Révolution française ! L’imprudent ! La bronca de la cour fut telle
qu’il devint immédiatement très impopulaire et fut remercié 8 mois plus tard,
dès novembre 1759. Il mena alors une vie retranchée dans son château de Bry sur
Marne.
La
vulgarisation du mot « silhouette » vient-elle précisément d’une
moquerie à l’égard de cette existence à l’ombre à laquelle il était maintenant
réduit ou plutôt du fait que monsieur de Silhouette utilisât dorénavant son
temps libre à faire des portraits de silhouettes ? Nul ne peut le dire
exactement. Une chose est sûre, Etienne de Silhouette avait conçu une lampe de
sa propre invention grâce à laquelle il éclairait les personnes assises devant
un écran de parchemin. Il se fit une réputation en détourant ainsi les ombres
projetées de ses invités, souvent directement sur les murs de son château.
L’art de la silhouette était très en vogue au 18e siècle
en Europe, voici d’ailleurs une chaise à silhouette allemande très pratique
construite par un juriste de Gießen, Ludwig Julius Friedrich Hoepfner. Il
existe en Allemagne une très importante collection de silhouettes du
18e siècle, la collection Schubert. Nombre de personnalités de l’époque
sont passées à la postérité entre autres grâce à ces silhouettes, voici par
exemple celles de Johann Wolfgang von Goethe, grand adepte lui-même de l’art de
la silhouette, de l’écrivain Gotthold Ephraim Lessing, ou les célèbres
caricatures de Voltaire que l’on doit au silhouettiste suisse Jean Huber qui,
lui, était tellement habile qu’il n’avait même pas besoin de dessiner l’ombre
projetée : il dessinait directement ses silhouettes aux ciseaux.